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Cédric Bouleau
18 novembre 2020

Maladie d'un jour

J'ai pris ma glose en grippe, je la regarde sans passion, comme si rien de notable n'en avait permis l'éclosion et je m'affale dans un vague-à-l'âme distrait par le tempo incessant de la musique. La fatigue morale me ceint bien que je sache qu'elle va vite disparaître après le passage d'une nuit de sommeil. Tout s'est arrêté dans la stupéfaction, il ne reste plus qu'à l'écrire. Je fomente des coups d'Etat contre tous mes projets, je vacille perclus d'affects et je ne trouve plus de direction sinon attendre. Patienter. Faire des rêves mauvais. Maudire l'éternité et les folies du passé dans un bourbier déprimant. Il faudra pourtant avancer. Accomplir quelque chose, sortir de l'ornière, montrer que nous valons mieux que ce que nous croyons, décrocher une étoile en s'y brûlant pour passer à autre chose que la vie en prose. Le monde va redémarrer, nous devons nous y préparer, ne serait-ce que faire partie, enfin, de la communauté. De propos blessé, je suis vissé à ma chaise depuis laquelle je devrais coder. A défaut, je tente une approche, je me laisse emporter par une transe maniaque de réflexions sans structure qui ne s'applique qu'à digresser. Que de temps perdu à la poursuite de ma félicité. Celle-ci s'approche, repart, revient, s'enfuit et disparaît quelques heures jusqu'à-ce qu'une motivation nouvelle surgisse, qu'un sursaut d'envie de bosser me prenne, qu'une fleur pousse dans ma tête. Retour au labeur, largage des dernières lourdeurs, et pourtant tout cela sonne creux. Nous nous sommes préparés à vivre cette journée mal-aimée avec l'ordinateur en perfusion et nos émotions en allusion pour appréhender la moindre beauté de ce monde médiatisé par cet écran duquel je ne lève pas le nez. Nous nous sommes dit : c'est le moment de couler. Mais la vie reprend ses droits, j'imagine des scènes sans effroi, je réalise mon film comme si elle pouvait être mienne. N'est-ce pas être possessif ? Sans doute... Car j'attends la fusion, douce folie d'un âge éteint où il était convenu qu'on ne pouvait qu'être soudés ou pas attachés. Nous nous fourvoyons, nous croyons bêtement en des fables publicitaires et nous vivons de rêves et d'échappées belles. Quelle méprise, quel culot de croire qu'on peut voler un cœur et l'enfermer dans nos jalouses pensées autoritaires. Nous ne sommes pas de cette époque ? Nous ne sommes d'aucune époque... Tout ruisselle sans nous, l'amour est un attrape-niais dont il faudra que nous apprenions à nous passer. Nous volerons plus loin, jusqu'à Copenhague peut-être, que d'autres folies nous bercent, que nous partions en quête d'autre chose, que nous volions encore un peu au-dessus de la fournaise, sans cet espoir ridicule d'être le centre d'attention d'une personne dont nous froisserions la liberté. Car voilà ce qui nous attend : le besoin incessant de sa présence, de souffrance en malséance.

Les oui-dire pullulent, ils se répandent, ils vont partout avec force de vente et je me demande si elle n'a pas des doutes. Dans l'alcôve de ma crypte je mûris des pensées qui, si elle ne sont pas tabous, sont sans objet légitime. Et je m'en punis, me débarrassant de mon fiel sur le world wide web, comme si elle allait me répondre. C'est un piège subtil, fait de bla bla inutiles sur l'échec que je m'autorise encore une fois. Nous n'avons pas assez de férir, bientôt nous voudrons périr. Sans passer à l'acte, juste en y pensant comme une alternative. Pourtant tout va bien, les terrasses vont rouvrir, de la bière fraîche sortira des fûts et nous ferons comme si notre gêne n'avait jamais existé. A parler de nous tout le temps. Et l'assumant. Car dans mon petit chez moi, je n'écoute que moi. Just me, myself and I. Je le chante sur tous les toits. Nous sommes au carrefour qui décidera notre avenir. Si les dieux absents se prennent d'être quand même avec nous, nous partirons loin d'ici en reprenant les rênes, pour commencer autre chose, vivre différemment et apprendre à mentir en danois. Ce serait l'apothéose, le climax de cette épopée à l'issue certaine. Submergé des râteaux accumulés au cours du temps nous penserons peut-être à faire du jardinage, nous nous en servirons de tremplin pour voir plus loin. Mais les dieux sont absents, il n'y a que nous et notre peine immotivée. Nous râlons en chanson, nous crachons la bile acide qui agite notre piètre déraison. Nous courons vers un affront. L'affront terminal, celui qui nous laissera sans voix, inaptes devenus ineptes. Nous ne marquerons pas notre temps et d'être anonymes nous chercherons à être oubliables et oubliés. Ce sera notre réussite, nous traverserons seuls l'espace urbain avec le bonheur d'être invisibles. Vraiment ? N'oubliez pas qu'ici nous n'est qu'un je(u). L'un irrésolu à gagner, l'autre résolu à perdre. Notre esprit est fracturé... L'indécision règne en maître, rien ne doit changer et avant de faire un pas on hésite cent fois. La forêt est bien cachée, je ne vois qu'un arbre dans cette rêverie d'un promeneur solitaire. Derrière il y a les amis. Ils méritent notre gratitude en étant d'un naturel qui m'échappe en termes de réalisations sentimentales. Bien sûr, il y a eu des femmes sur notre chemin et quelques-unes ont tenté le coup avec la foi qui permet de dépasser toutes les inconnues. Elles ont été vaillantes car elles ne nous ont pas juste accepté elles nous ont supporté, mon verbe et moi et à l'occasion l'absence totale de paroles. Nous nous rappelons bien cette période clé, épuisés cognitivement par les chemins que la psychose nous a fait emprunter dans l'hallucination. Le sort en était jeté, j'étais muet. Nous avons connu ailleurs, malgré tout, un amour mystique à sens unique et débordant de tendresse mal placée. Elle aussi elle a soupé de nous. Heureusement, une fois la tempête passée elle a sportivement accepté nos excuses plates et sincères. Un délire simplement mais un délire qui a duré un an. Je l'ai laissée se retirer de ma vie pour toujours, penaud de mes frasques homériques. Parce qu'à dire vrai, c'est toute une saga que mon précédent livre raconte, une relation épistolaire sans retour, un monologue aberrant et fantasque qui a poussé la littérature dans des lieux interdits sinon pour se divertir, insanes et dérangeants comme quelques mauvais films. Une romance tout de même, un espoir tenace que nous volerions et arroserions le monde en feu pour faire surgir nous ne sommes pas sûr quoi mais quelque chose de mieux. Le récit se termine à l'hôpital...

Malades et maladroits, nous passons. D'un coup de colère la messe est dite, nous sommes étranges. Nous n'avons pas fini de ressasser ce qui pourrit en nous-mêmes, c'est un jeu du je qui se dit nous pour feindre de ne pas être seul. Chacun son pré, les vaches seront mieux gardées. Nous sommes brouillons, nos désirs sont plein de doutes bien que certains sur nous soient pétris de certitudes impossibles à ébranler. C'est le système paranoïaque de croire qu'on nous en veut mais la machine ne veut pas s'arrêter. Par bonheur, on s'y fait. On intériorise le malaise, seuls ceux qui me lisent le voient. C'est un malaise métaphysique qui n'impacte pas la bonne humeur de la vie courante, une simple querelle avec nous-mêmes. On lâche des mots forts qu'on pense sincèrement mais qui n'ont pas dessein d'impacter le plaisir d'exister. C'est peu dire en fait, lâcher un aspect plutôt qu'un autre de la perdition, et aujourd'hui nous sommes troublés. Quelques démons en carton ont refait surface, l'angoisse a repris de la place, parfois une idée noire s'immisce. Quand une de ces dernières surgit, on temporise, demain ça ira mieux et nous l'écrirons. Je me voyais déjà au nord de l'Europe mais la foudre a frappé ma motivation. Il est des intelligences que l'on n'a pas, il faut savoir s'en accommoder, et la programmation me rend confus. Triste constat qui nous permettra de faire un autre genre de pas en avant. Nous verrons bien. Il nous restera un peu de fiel, nous le garderons pour notre gouverne, sans médire si nous pouvons (mais nous ne pourrons pas). Et parmi toutes les cruautés nous choisirons celles qui nous permettent d'être cruels avec nous-mêmes. Nous passerons. Invaincus et tout juste debout, nous affronterons les vindictes que la paranoïa nous fait croire le reste du monde fomenter. Parce que parfois, devant la vitre sans teint qui nous en sépare, nous n'y voyons que nos travers. Le motif de nos vagabondages trouve sa prise dans une irrésolution à être du même tonneau que le reste de l'humanité. Nous lui ressemblons malgré tout, à la surface, bien qu'il y ait déjà des craquelures, et nous faisons ce rêve de romance aussi bêtement. Nous sommes coiffés, nous sommes habillés, nous sommes sociables, mais nous sommes mal coiffés, mal habillés et sociables à nos heures disposées seulement. Vaille que vaille, le monde s'offre en récompense de notre patience, les petits malheurs s'exposent et nous continuons de tourner autour de nous, comme s'il n'y avait rien au-dessus sinon des us qui ne nous intéressent pas. Bien sûr que nous faisons ce rêve de romance – et après tout pourquoi pas ? - mais les nuages sous nos pieds en cachent la vue. Notre solitude est grégaire au besoin, il ne se passe rien sans les autres ou en tout cas ce qui se passe a moins de valeur que dans cette tempête de rires et d'émotions partagées. Prétextons qu'un jour nous irons mieux, peut-être lorsque le porte-monnaie se décidera à nous laisser dépenser.

Ici c'est un confortable pénitencier, où l'on coule des heures flasques en mûrissant sans y croire la relève. Revolution solution, I have come to join you. Enfin, pas vraiment. Après tout tant pis, si nous ne pouvons connaître l'extase du baiser d'une princesse (comme dans certains films) alors que le monde périsse ne nous intéresse plus. Après nous le chaos. Comme avant finalement. C'est facile de tout laisser tomber, les amis, la famille, un quelconque bonheur en argile pas très épais, à la place nous avons choisi d'être un soleil qui s'éteint mais brille toujours un peu en souriant devant le mauvais sort. Tout de façon, ce mauvais sort a périclité, nous avons retrouvé un semblant de bonne mine – est-ce que nous faisons semblant ? La roue tourne. Elle tourne, elle tourne, elle tourne, c'en est presque grisant. Un mot au sommet puis une impasse, ce qu'il y a de plus intéressant à raconter en l'occurrence. Nous ne voulons pas simplement être aimés, nous le sommes déjà, nous volons un corps nu, une âme qui se déverse en nous et de la complicité physique. C'est sans doute trop demander aux étoiles, alors nous passons... Nous repassons par la case départ, sort pénible source de renouveau, de vitalité retrouvée, d'innocence peut-être (parce qu'on ne nous connaît pas encore assez bien). La roue tourne. Oh ! Ce qu'elle tourne. Les boulons vont-ils sauter ? Tout va-t-il exploser dans le ciel de nos piètres idées ? Puis une chanson. Nous déchantons, encore une histoire d'amour. Lana Del Rey, tragique : Heaven is a place on Earth with you, I tell you all the time. Et Natasha Saint-Pierre : Moi je t'offrirai... tout ça tout ça, peut-être plus, sait-on jamais ? Et la femme chocolat, elle nous donne faim d'amour, un morceau de chair à croquer, et rapidement des idées déplacées. Nos rêves ne veulent pas admettre la défaite, une part de nous cherche les conquêtes sur le réel, qu'il devienne un feu d'artifices et que tout le monde s'en rappelle. Mais nous ne parlons bien que sur ce bout de papier, nous n'avons trouvé qu'un abri-bus abandonné pour psalmodier nos prières et y inscrire nos hurlements dans la fièvre. Quant à elle, que fait-elle ? Je ne pense pas qu'elle s'inquiète, son affection est peut-être superficielle, combien y a-t-il de peut-être dans ce texte ? Peut-être trop... trop superficielle ? Je ne sais pas, comme je vous dis : peut-être. Un mirage de plus, une accroche pour un jeu sans dénouement, le début d'une ritournelle dépitée qui répète les mots qui s'échappent de cette aventure éolienne (qui brasse du vent) et à la fin notre sempiternelle défaite. Pourtant, nous sommes en fête, la liberté nous sied, ne rien en faire serait sans doute péché, alors nous l'apposons sur un brouillon. Tout ce qui s'y dit dans la minute est moribond. Bah ! Nous aurons sculpté, ausculté, réparé, conjecturé, dévalisé, jusqu'à tout rater en permettant que subsiste une trace de ces envolées mentales. Je suis là à réclamer la Lune déjà conquise, je suis en territoire occupé, le maître des lieux dérangé par mon entremise. Quoiqu'il en soit, on ne parle pas ici de grand amour, juste, pour chanter encore ce refrain, une histoire de peut-être.

Mon esprit est une décharge mais on peut en aimer l'apparaître, ici tout est apparaître, litanie de plaintes emphatiques, déluge de sermons à nous-mêmes aux horizons trop lointains. Je vois bien le soleil se coucher, la pluie tomber, mon cœur souffrir d'un ou deux bleus mais je persévère dans mon être. On pourrait croire que je transpire d'abattement, or il n'en est rien je fais juste le tour de mes névroses comme on chante en concert. Je me concerte, à la recherche d'une perle de vie. Et, ma foi, ça fait avancer le Schmilblick. Nous volons à allure plus ou moins régulière vers rien du tout, mais tant pis hein ? Du moment que nous volons, un baiser, un bonbon, en voyage au-dessus des tourbillons de vent pour le meilleur et l'espoir d'une tragédie grecque : immeuble en flammes, aucun de mes textes n'a survécu. Il me faudrait un éditeur malin pour publier mes complaintes récurrentes, les donner au monde en 27 langues – en danois aussi ? Bien sûr puisque Kierkegaard nous regarde (un ancien danois devenu vapeur d'éther dans le plasme originel des idées éternelles). Ça aurait de l'allure, un goût d'achevé avec quelques phrases bien construites au milieu d'un maelström de mots épiques et bariolés. Un univers s'ouvrirait et la princesse serait alors peut-être à nous. Nous aurions vaincu le boss final, le jury du Goncourt, et nous vendrions au moins une dizaine d'exemplaires de la première édition, prête à être remaniée pour cueillir les suffrages d'une foule en délire réclamant la suite à cris perdus. Ou pas... Ah ! La ritournelle sans terme. Ne t'en déplaise Philip (K.Dick), contrairement à ton foireux plan de carrière, nous espérons une gloire pré-mortem.

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Cédric Bouleau
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