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Cédric Bouleau

23 novembre 2020

Real Civitas

On n'est jamais débarrassé de la haine. Elle s'insinue, elle parasite toutes les questions ouvertes à propos de n'importe quel point de vue sur la nature humaine. On a beau se retenir, un crachin de mépris finit toujours par tomber sur les gens, êtres de seconde zone, terreau du manichéisme le plus sale, rebuts impossible à recycler... Au choix, qu'on se regarde ostensiblement ou qu'on regarde trop le mirage qui nous sert d'étalon pour juger du tout-un-chacun. Dans tous les cas on ne peut guère s'empêcher d'être lâche et/ou source d'indélicatesses faciles. Dans l'arrière-boutique de nos têtes se joue la bataille dont l'issu (a priori fatale) dictera notre opinion sur tout. La haine l'expurgera de la cave humide de nos idées refoulées et formera un regard à notre égard qui nous qualifiera comme plein d'un ostracisme sans fondement. On refait le monde, on l'arrange, on le rêve, peut-même qu'on le délire en appuyant sur cette petite particularité qui nous place plus haut sur l'échelle des vertus. Puis, par une bénédiction vorace, on retourne rapidement à notre insignifiance en fomentant toujours plus ces haines de soi comme de tout le reste. Voilà par où s'exécute le cercle vicieux. Pour s'en dégager, de grands maîtres (usurpateurs) ont inventé la pensée positive, phénomène toujours réducteur et naïf pour un esprit libéré en acte plutôt qu'en projet. Ce qui relève d'une acrobatie malaisée à exécuter sans tomber dans les contradictions. La haine est le moteur de la vie chez Sapiens, souvent cachée, recouverte d'un voile de mystère qui empêche l'individu de s'y attaquer frontalement. Y a pas que de l'amour... Elle est pratiquement impossible à vraiment éluder dès lors qu'il s'agit de poser un jugement de valeur. Les gens, catégorie abstraite, sont l'excuse du chaland pour vernir sa fierté. I fucked my way up to the top mais j'ai au moins ça, les gens, ma haine à leur endroit, pour ne pas sombrer dans les dépressions les plus pénibles. Après tout, qu'ai-je vraiment accompli de si nouveau ou de si courageux autre que parler de moi sur tous les tons ? Je suis une tache dans le mur, je n'ai fait qu'apprivoiser mes dix mille pensées pour les rendre dicible, et encore pas toujours de façon bien claire. Je n'éclaire rien, pire, je brouille les pistes pour ceux qui veulent partir à ma recherche. A quel moment suis-je censé mettre de l'ordre dans ce piètre chaos ? La haine, encore, me pousse à l'étendre jusqu'à-ce qu'il devienne une nébuleuse qui n'admet que ses propres lois. Ici, dans le texte. Mes réflexions sur ce que peut, sur ce que doit être ma littérature n'ont depuis longtemps fait que lâcher les chiens sur celle, vaste et richement fournie, qui n'a pour seul mérite que d'exister. Je l'avoue bien modestement, l'aristocrate en moi a des velléités de prendre le pas sur ma raison. Je le contient, je le réserve aux bonnes occasions, et parfois il m'est utile. C'est un démon, une créature cynique et froide. Mais j'entretiens avec elle un rapport de confraternité indéfectible. Et je me résous à être insultant, arrogant et verbeux quand il s'agit de parler de moi-même. Je me déteste. Néanmoins pas encore assez. Je suis un trublion sans destin, planqué dans un coin du web à la vue des angry-few qui sautent le pas de venir me lire.

Que faire de notre condescendance ? Doit-elle brûler dans le désert, à la vue de la poussière seulement ? La vie de mes mots est sans doute la source de ma stratégie de l'échec. Nonobstant son inanité chronique, elle me conforte dans ce qui apure de plus vil et dédaigneux en moi. Les comptes sont faits, je n'ai aucun pouvoir sur un nombre qu'on pourrait renseigner de mes stéréotypes. C'est dans les eaux troubles de mes turpitudes les plus absconses qu'on trouvera, malgré tout, les perles qui annoncent mon désir de faire pénitence. Il n'est pas encore question de cesser d'être aware des tares de monsieur-et-madame-tous-les-autres, plurivoques et connectées, mais simplement de faire un instant machine-arrière pour voir à quel nous sommes pompeux et infréquentables. C'est le privilège de l'auteur que de magnifier les parts les plus sombres en lui et le reste de la création. J'abjure mon obsession scripturale qui n'a de réel intérêt que de nous perdre dans un jeu de miroirs où l'on ne sait plus qui critique qui. Et à quel véritable dessein... Pourtant j'avance, je l'écris avant que ma mémoire l'ait occis définitivement de ma mémoire friable. C'est un luxe que je m'offre, cette capacité à coller pêle-mêle des phrases qui manifestent souvent une situation de hors-sujet. Peut-être parce qu'il n'y a pas de véritable sujet, que le titre de ce dernier texte vous a tous trompés et qu'il n'y a aucune pensée théorique intelligemment agencée, juste les élucubrations d'un personnage surfait et suffisant. Grand bien me fasse, je vois que vous êtes encore là. Quelqu'un sait-il le long de combien de phrases il faut errer pour faire naître la possibilité de gagner le droit d'être cité hors-contexte ? Les gens le savent, ils le diront tous : leur présence est en croissance géométrique. Le jeu prend ainsi forme dans l'idée qu'une critique vaut mieux que mille applaudissements et, en même temps, qu'un pillage de nos lubies mises en phrases plus que le silence de la circonspection générale. La haine en moi trahit son existence dans ces lignes, alors que, IRL, elle ne le fait qu'avec mesure et prudence. Elle est vive parce que je l'entretiens, je n'ai plus de désir d'écriture ce soir que raconter ma défaite inéluctable. Et vous êtes toujours là, à suivre un raisonnement un peu baroque qui trouvera son terme uniquement dans la folie.

Fâchons-nous, trouvons des portes de sortie à cette auto-satisfaction qui bride notre être-moral vers l'impiété la plus grande à l'encontre de nos consciences abîmées par le ressac de la vie moderne. La haine est notre compagne sur le chemin de l'objectivité. Nous ne sommes que péchés devant la vérité et le curé aura tôt fait de nous le faire comprendre. Est-ce un idéal théologique que le dénigrement de soi-même ? On pourra le penser. Et après, on reprendra la querelle des universaux comme si elle n'avait pas pris fin avec OK Computer de Radiohead en 1997. Mes arrangements sont des signifiants sans signifié. Comme ils sont troubles, ils sont sans conséquence. De quelle expérience suis-je le fruit ? Celle d'un vol probablement... une histoire de piraterie et d'achats compulsifs de livres lus au mieux à moitié. Un survol sans valable profondeur. La punition, que je m'offre d'être improductif le reste du temps, la plus lapidaire. Vous serez juges de savoir s'il faut ou pas en retenir quelque chose. Vous me condamnerez et peut-être que je le mériterai, défait par une haine qui aura, malgré la contrition, réussi à s'exprimer. Les gens me condamneront. Il n'y aura pas de Dieu pour me gracier. Mon insomnie n'aura servi à rien. Quel vertige ! Au milieu de cette haine il pourrait y avoir quelques échantillons d'une capacité d'adaptation au milieu et un début d'espoir en l'intelligence pluriforme qui habite encore une partie de l'humanité. Il doit en exister qui méritent d'être suivis, par le charisme et la raison, mais, comme les gens, je ne connais que moi. On fera la liste des choses qui nous énervent, on la portera au pinacle de la même façon qu'on s'érigera en sauveur du monde puis on s'anéantira de nouveau dans notre solitude en rentrant sagement à la maison. Que faire de sa haine est le problème central de l'ère numérique et il existe quantité de manières d'y répondre, notamment en laissant un commentaire acerbe au pied du post d'une vidéo de chatons. Gratuitement. Pour le sport. Après tout, que sont-ils venus pourrir mon scroll en cette matinée ? On me les a imposés et je n'ai pas pu m'empêcher de les regarder, comme si j'avais été manipulé. Ils sont apparus de façon sauvage dans l'idée délibérée de me faire perdre cinq bonnes minutes. Je le vois encore, ils me hantent, me filent la haine. J'ai la haine. Je la déverse sans autre objectif que de me vider avec rigueur. J'écris. Puis ça passe. Un grand verre d'eau fait son office, bientôt recouvert d'un café et d'une cigarette. La police des mœurs me surveille peut-être, alors je commence à envisager de manger un morceau, pour flatter la haine qui surnage au fond de mon estomac contrarié. Tout renvoie à la haine... La haine est partout. La haine est notre alliée fidèle. Et il n'y a souvent rien de mieux à faire que d'y succomber. Que la messe soit dite, qu'il ne reste rien du corps du Christ que son sang coagulé en tache sur notre chemise avinée.

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19 novembre 2020

Direction néant

Gardons raison, le monde n'est pas que cruauté, c'est tellement mieux que ça. Il est aussi vanité et désespoir. Le moteur du système qui nous gouverne tourne à la vitesse que nous lui imprimons en nourrissant, sans chalance, les algorithmes de notre prochaine captivité. Nous rêvons de femmes en cartons, sans voir la chute au-devant de notre hébétude spectaculaire, et prophétisons que nous nous en sortirons aussi bien qu'au terme de factices films-catastrophe visionnés avec la gourmandise que nous réservions autrefois à des contes de fées où nous produirions, en toute fin, cette cohorte de futurs employés que deviendront nos enfants. Avec bonheur et enthousiasme ! Je me remets à peine du coup de massue, Facebook me tient par les couilles, je suis un aliéné de plus. Qu'il soit acté que j'ai voulu me défaire de la triste manie de scroller avec autant d'outrance que s'il n'y avait rien de mieux à faire et que je n'ai pas trouvé de chemin à emprunter avec quelque ami dans le désert qu'est autrement la vie sur le net. Alors je me répands salement, je me disloque promptement, je raconte mon absence d'exploit avec tripes et sang. Où aller sinon nulle part, tourner en rond avec une foi de chevalier que grâce à moi quelque chose va peut-être changer. Mauvais orgueil que voilà, illusion psychotique, dernier vestige de dignité avant de raccrocher les crampons et simplement voguer sur une mer sans côtes et cernée par la houle. Aucun paysage ne s'approche dans cette tempête, il n'y a que mes bêlements pour distraire mon incomplétude ontologique. Je suis. Et alors ? Je pense être moins que ce que je rêve doctement que je suis quand j'ai trouvé bonne tournure à l'une de mes phrases. Il n'y a que mon fauteuil, mon ordinateur et moi dans ce voyage sinon des amis, heureusement sincères, qui prennent parfois le temps de venir me tenir le crachoir pour refaire un monde qui m'échappe. Pas la peine de se prendre pour Schopenhauer ; vous le savez, je n'ai de désir que délirant, je n'ai de plaisir qu'aliénant. Mais cela ne suffit pas à me rendre utile à la construction d'un idéal qui, de toute façon, m'échappe aussi. Aucune idée. Juste un flux de mots sans escale, une litanie de déplaisir à la gloire de ma petite folie, un jeu grammatical, une refuge où conspuer la vie.

La messe ne sera jamais complètement dite, il y aura des omissions, des non-dits ou des choses qui mériteraient qu'on les décrypte. Pas de panique, l'aurore arrive. Et à sa suite l'horizon, entier, qui se dégage de cette misère littéraire en promettant toutes les romances. Les médicaments ont désormais entériné mon impuissance, ma libido se résume à des pourquoi pas sans action concomitantes et rien ne fera plus chavirer ma barque sinon l'annonce d'un nouveau déluge. La vie est devenue sous-vie, je suis un antique romain qui se borne à errer dans son salon en quête de distractions. Si l'Homme savait rester chez lui, la misère lui serait plus supportable. Casanier, j'ai trouvé la force de me contenter de trop. Trop de jeux, trop de livres, trop de films,... Il n'y a de limite à ce paradis que l'imagination et les décompensations délirantes. Le temps passe et je me convainc que trouver ma moitié n'est qu'une métaphore creuse, qui manque d'idée, une lubie moderne insensée et tragique pour laquelle on ose néanmoins sortir de son trou. L'envie m'est passée... et je la vois revenir, conquérante, immensément désirée, plus forte que jamais, alors que je me trompe encore de siècle à vouloir la retrouver. Non, décidément, ce manège ne va nulle part. Il ne promet que la mort, pulsion primaire en l'absence d'une autre. Éros ? Thanatos ! Je me suis assez fatigué comme ça à vouloir aplanir l'idée que je me fais des femmes. Elles aussi peuvent être cruelles. Pourtant, elles ont raison. Ni alpha ni solvable, je ne peux que revendiquer un poste d'écrivaillon désargenté et bienheureux, tout juste apte à naviguer dans la matrice sans faire plus de vagues que celles qui me remuent déjà. Le monde est un champ de bataille et mes mots sont le sang fermenté de liberté échu à quelques-uns d'entre nous encore assez vaillant pour oser se perdre dans l'anonymat. La misère sexuelle n'est plus qu'une misère abstraite depuis le film du 1er samedi du mois et, plus loin jusqu'à aujourd'hui, l'arrivée fracassante de YouPorn. On télécharge, on décharge. Le surplus s'évacue, c'est une histoire de plomberie. C'était mon dernier espoir et, bien qu'il soit toujours là, il n'y a désormais plus de levier assez fantasmatique pour me faire échapper les liquidités qui s'accumulent quand même. Alors je me détourne, j'achète une nouvelle tour à faire cravacher sur les derniers jeux vidéo qui m'inspirent. Même Netflix m'ennuie...

C'est une façon de pavoiser que de se plaindre, c'est un rituel commode qui sustente les plus aigris le temps qu'ils en fassent leur cri. Il n'y a que l'éternel présent qui s'enfuit dans un passé trop vite mis aux orties. 39 ans déjà. Aucune reconnaissance en-dehors de celle des gens qui osent me connaître offline, je ne pousse pas au likes. Et c'est sans doute aussi bien comme ça. Me voilà débarrassé d'une ritournelle. Je voudrais tant de choses que j'ai déjà. Oui, j'ai déjà tout, je ne suis qu'un ingrat à la pitance difficile. Mais je vous enjoins à me lire entre les lignes, là où il reste encore un peu de semences positives, de raisons de croire que malgré le bonheur consumériste qui nous encercle de toutes parts il reste également une négativité qui demande à s'exprimer. Il faut ne pas être content. Moi-même je me rebelle contre l'overdose de cette émulation sans frein, je réclame de la stimulation. Tout cela passe par pertes et fracas dès lors qu'il s'agit de remonter les bretelles à des questions qui n'ont de réponses que de simples opinions. Des opinions sacrées, indéboulonnables, indiscutables. Il paraît même que les gens adhèrent encore à l'idée de manger de la viande... Oui, c'est une opinion que tout réfute mais il n'est pas interdit d'être Zemmour à la télé non plus. Tout ça en toute bonhomie. Il ne reste de raison pas moins qu'il n'a toujours resté, peut-être même y en a-t-il un peu plus qu'autrefois et que nous sommes dans une spirale ascendante de sagesse. Bien sûr, le capital va toujours plus au capital, parce que les riches investissent et que les pauvres claquent bêtement tout leur argent au lieu de placer, judicieusement, les quarante euros chaque mois qui jusque-là leur permettait de se faire un ciné et un resto sur un des titres qui promettent la réussite. Ces chers pauvres, qui n'ont pas le cœur a être des self-made billionaire vont pouvoir se presser au bureau de tabac et claquer ces quarante euros en tickets à gratter dans l'espoir que le mois prochain ils pourront s'acheter un vélo d'appartement et devenir plus productifs en évacuant la graisse de malbouffe MacDonaldienne et Cocaholique que le Kapital ne les enjoint pourtant pas à éviter. Ces chers pauvres, qui contribuent lourdement à l'impôt en étant les premiers à fumer en quantité pour supporter cette vie de défaite et à payer 80% de taxes à l’État, se laissent griser par l'appel du ruissellement que les Macron et Cie leur promettent en vain. J'entends cette petite complainte qui dit que sans patrons il n'y aurait pas d'employés, que je retourne en arguant que s'il n'y avait pas d'employés il n'y aurait pas de patrons.

Il n'est de notoriété que l'échec est un but en soi, n'est-ce pas ? Nous courons après lui jusque dans la mort, raillés post-mortem et définitivement adoubés, enfin, par la nomenklatura qui ne se presse pourtant pas à notre enterrement. Nous ne sommes que du vent dans ces saules et rien ne prédit qu'un monde plus digne se profilât au portillon de notre résidence fermée à double tour. Il y a tant à perdre à fomenter une révolution... D'ailleurs, une nouvelle saison de La Casa de Papel est disponible pour nous éteindre en rêvant que d'autres profitassent à notre place d'une saignée dans les flancs de l'argent-roi. Moi-même ne suis-je pas une caricature d'auteur, un déplaisant plaisantin tout juste bon à éructer des truismes et des sottises ? Aucune échappatoire au jeu mortifère de l'écriture, tout juste le sentiment qu'il n'y pas plus pour moi rien d'autre à espérer qu'un excès de mots mis en bouteille sur un blog que personne ne visite. Mais je vis pour ça, toujours prompt à dégainer une saillie sans intérêt au milieu d'un texte cryptique et confus. C'est ma petite folie, cette dégénérescence idiomatique qui ne connaît de succès que localisé dans les bas-fonds du deep web. Suivez mon regard, voyez-le s'éparpiller dans la démesure de ma personne tourmentée par les tourments eux-mêmes. Je brise l'omerta jusqu'à dire n'importe quoi puisque peu importe... Et c'est ainsi que parfois je fais mouche en lâchant inopinément une phrase qui enfin fait mouche. Direction néant.

18 novembre 2020

Terrasse

Spleen idéal contre réalité de l'euphorie, tout se dissout dans un grand verre de Triple Karmeliet que je m'envoie sans rage à la recherche désespérée de l'ivresse. Les émotions se noient dans un même bain, je ne sais plus si je suis heureux ou triste. Et même riche ou pauvre. Je bois. Avec pour seule modération de prendre mon temps et de partir une fois la fermeture du bar annoncée. Ce n'est pas assez évidemment. Pourtant c'est trop. Ambivalence implacable, rudesse de la solitude dans la foule, la lumière ne fait que rendre visible les ténèbres. Et je joue avec, hirsute, en chasse, aux aguets du moindre début de connivence. Mon corps s'emballe mais il ne tremble pas encore. Elles sont partout, autour de moi, reines ou pas, complices ou médisantes, occupées par leur clique de mâles au genre flouté dans une indétermination moderne.

Le vent ne caresse pas, il fouette par bourrasques et renverse parfois un verre vide, qui explose alors sur les pavés irréguliers du bistrot en provoquant la surprise. Blam ! Puis les rires reprennent, il n'y a rien de mieux à faire. Le murmure est bruyant. On ne décèle aucun propos sous la bâche, juste des éclats de vie et le bourdonnement rassurant d'un rassemblement électif qui pose ses frontières à quelques dizaines de centimètres de chaque table. Je suis en société et j'écoute sans passion les restes de musique qui s'échappent de l'intérieur bondé.

Quand mon second verre arrive, je dis des merci, des gardez la monnaie, et je souris à la fille avec la naïveté de croire que cela opérera quelque magie. La séduction est une entreprise qui me dépasse et, benoîtement, j'essaye encore et toujours de la mener à bien. A mi-chemin, je prends deux fois le vent. Elle ne me nargue pas, elle s'esclaffe avec une pointe de cynisme que non non elle a n'a pas le temps et que ça l'amuse un peu de me voir tenter le coup. Raté. Mais je ne prends pas la mouche, j'essaye de décortiquer en tout petits bouts la scène qui se produit sous mes yeux blasés pour comprendre. Bien sûr, je suis un peu échauffé. C'est la bière, rien d'autre... Non ? Qu'en sais-je ? Il faut rester digne dans la défaite, malgré que le réchauffement par l'alcool l'empêche.

C'est vrai qu'elle est belle ma foi. Et je ne suis pas à la hauteur. En apparence mais pas uniquement. Mon être est peut-être pire encore... Qu'en sais-je ? A force de tout ignorer je vais devenir philosophe. N'est-ce pas là la sagesse socratique que de n'y rien comprendre et de s'en rendre compte à temps. Bien sûr, ce soir je ne suis pas venu chercher la vérité malgré que j'en ai rencontrée une au moins. Une sorte d'explosion des intelligibles dans le ciel de mon esprit crédule. Autrefois, je pensais que c'était une maladie mortelle de l'âme que de s'échouer sur les rivages de l'incapacité. Désormais mes échecs forment une belle collection de souvenirs, de ceux qu'on peut raconter à des amis en mélangeant les alcools et les variétés de cannabis. Et qu'on étaye largement – et lourdement – sous l'effet grisant des méthamphétamines.

Si le mieux est de ne pas s'en faire il est navrant de constater que je m'en fais tout un film. Je ne suis pas ridicule, juste un peu pataud. Il s'en trouvera une pour apprécier. C'est ce que je m'imagine parfois en rêvant de quelqu'un qui trouverait gré de jouer à Twilight Struggle et d'écouter Electric Moon avec moi. Non pas tant pour me faire plaisir que par réel intérêt. Ce qui est très con. Je rêve que cela se termine sur un concert surprise de space rock à Copenhague avec du hasch et de la bière exotique.

Or ce soir, je m'envoie de la Triple Karmeliet affalé sur ma chaise en bois en faisant le constat que quelque chose cloche. Mes doigts n'effleurent que des artefacts, ma voix n'est que formalités et j'entends les perturbations normales d'un début de soirée sur une place fréquentée. Pourtant, la vie s'écoule sans éroder une placide bonne humeur qui n'est pas que façade. Je suis bien et j'attends d'être surpris, comme pour mieux goûter ma bière déjà un peu tiède. La musique ne me remue pas, elle tapisse le background sans m'assourdir et je me rends à l'évidence que si je suis original ce n'est guère que comme tout le monde. J'ai simplement ma part, sans philosophie, sans projet sinon ceux qui vont rapidement capoter.

D'un œil curieux je fais le panoramique de la situation et je vois les possibles de ce monde qui va bien moins mal qu'on ne peut être tenté de le croire. Les choses sont en ordre, elles vaquent à leurs désirs, chuchotés dans quelque journal intime pour timidement les faire advenir à la vie. C'est une naissance, un concerto timide qui lie harmonieusement volonté et réalité par l'exercice d'une louable hypocrisie et le déballage des pires blagues carambar.

La serveuse, au visage doux et aux cheveux épais et sans fin, passe et repasse. Ici, on court pour amener les verres et les débarrasser. Pour la voir encore une fois de près j'envisage de commander tant et plus. Il n'est pas tard et le magma grouillant des badauds de sortie est loin de trouver son achèvement. Le tact le mieux placé serait de s'en réjouir. Seulement, je suis un peu perdu. Même si pas encore tout à fait ivre. Pousser jusqu'à l'aube serait stupide et, l'étant radieusement, j'envisage de le faire. Juste pour la retrouver, enfin déchargée de sa tâche, libre de m'envoyer paître et de ruiner cette placidité citée plus haut dans une micro-dépression qui durera le temps d'une nuit à rêver d'autre chose dans l'intimité de mon sommeil silencieux. Elle en fera peut-être une blague, sur un souvenir proprement offert à l'appétit de quelques happy-few, qui s'en régaleront jusqu'à saucer les détails d'une mythologie assez contemporaine pour être reçue sans obstacle majeur. La psychologie de comptoir, bazardée au tout-venant moderne, est le centre nerveux de la bonne tenue des administrés qui envisagent de réussir. Selon qu'on s'entend sur le terme « réussir », qui peut tout aussi bien se limiter à se faire « intégrer ». A priori le monde n'est pas fou, les routines vont dans le sens du toujours plus, ce qui est parfaitement adéquat avec l'utilitarisme général. Il faut beaucoup discuter pour engendrer une opinion intéressante mais la misère de la raison suffit à s'en forger une tout court.

Toujours accolé à mon bout de table, je vois des visages. Parfois je sens un regard, furtif, à peine curieux de moi (encore moi...) et sans doute loin d'opérer autre chose qu'un survol sans conséquence de la plèbe, pour s'en faire une idée arithmétique mais approximative. Je ne suis pas à ma place mais j'apprécie l'intrusion. J'espionne distraitement. L'heure tourne et il me prend de vouloir partir en chasse. Mais je ne suis pas à ma place sur cette terrasse ; je dénote. Mon objectif est clair mais il n'a rien d'impératif. Au fond, je me mets à penser que c'est mon corps qui réclame sa pitance, comme s'il était en manque, en manque d'un contact, d'une présence sécurisante et surtout aimante. Est-ce que je sais aimer ? D'une façon bien particulière c'est possible. Or, s'il existe une impasse entre moi et le reste de mes pairs c'est sur le thème de l'hygiène. Rebut, je suis crade et seules les amitiés passent. Que faire ? Je commande un autre verre.

L'alcool commence à irriguer mon système, ma vue se double un peu et je dois me concentrer pour la ramener à son état habituel. La bouche entrouverte, la respiration plus forte, les membres souffrant d'un début de débilité, j'envisage de passer mon tour, de laisser mon verre plein ici et d'aller régler mon forfait de jeunesse tardive. Seulement, une force d'inertie me cloue à la chaise, j'en ai trop pris, trop pris. Il va quand même falloir penser à rentrer, me faire accueillir dans les bras d'un Morphée conciliant qui me punira tout de même peut-être d'un réveil en sursaut au climax d'un cauchemar dérangeant. J'oublierai mon désarroi pour un plus grand, mais éclair, prompt à disparaître dans la minute. En attendant, mon verre est là et j'y suis encore. Mon désir de romance, désuet et à la difficulté de réalisation sous-évaluée, s'est jeté par-dessus bord, léger et déjà bien immergé dans les effluves d'orge fermenté. Je jette à nouveau un œil à la serveuse, par pur plaisir scopique, mais mes projets se sont noyés. Tout ça pour ça... Plus de 20 euros claqués et la promesse d'un sommeil lourd.

18 novembre 2020

Divers gens

Bal musette te voilà, dans le giron de cette vie trouble où tous les objets n'aspirent qu'à danser à folle allure, comme si la finalité de l'univers, qui est de s'éteindre, n'était que le projet d'un Dieu absent et que le mouvement devait être sa grande fête, son aumône aux forces de l'entropie en attendant que tout s'arrête. Faisons repentance, simplement qu'on y pense, donnons toute notre énergie et que tout s'égaye. On tourne en rond, peut-être, mais rien n'y fait on continue à s'agiter. Parce qu'il y a des choses précieuses qui, bien qu'il n'en restera que des traces, nous encouragent à perdurer, à dédier des autels de tendresse à celles qui nous réveillent de notre apathie larvée. Du reste sans doute fuyons-nous sur place, incapables de rupture avec notre cosmos depuis trop longtemps à l'étude, cet ordre passager qui s'effrite dans l'évitement de ses plus grands projets, et ce lent tourbillon qui se plaît à nous empêcher de méditer, qui nous rend mous mais pleins de désirs. Réveillons-nous, chantons un hymne aux trouvailles de la vie en société, cette société qui s'était refermée pour repenser sa petitesse devant une nature homicide qui a fait de nous des gens masqués. Soit ! Les masques étaient déjà là, simplement ils ont pris d'autres apparences et maintenant on les appelle FFP2. La comédie humaine est un grand champ de recherche, on y trouve le sel de l'existence, à mi-chemin du bonheur et de la panique, comme s'il ne nous restait à déguster que l'indécision dans nos relations. Pourquoi tant de questions ? Mais surtout : pourquoi si peu de réponses ? On a fait de grandes arches de nos préoccupations – voyez la bibliothèque nationale de France – et on a ergoté sans fin sur celles de quidams lointains qui ne connaissaient rien de Facebook et qui n'ont alors même pas imaginé qu'un jour l'on pourrait s'exprimer sans l'aide de copistes au monde entier. Si tant est que celui-ci ait eu vent de notre existence minuscule et numérisée. Nous avons un large accès à l'empire du divertissement, à tel point que nos demeures en sont devenues des marécages grouillant de possibilités pas toutes d'un même intérêt ni même pas toutes d'une même légitimité. On mangera du Marvel, on grignotera jusqu'à l’écœurement du Disney, on s'émerveillera de notre inanité et on repartira chasser les échappées belles. Avec pour dessein de brûler le temps. C'est ainsi qu'on vit le mieux, c'est ainsi que le dénouement accélère son arrivée. Peut-être a-t-on envie d'aimer, grand luxe au creux de notre confort moderne, pour enfin s'exposer, pour se dire, se raconter, s'étaler, sortir du marécage pour ramasser quelque onguent de simple bonheur d'exister. Construire une intimité, s'y lover et l'entretenir pour respirer l'air d'un monde oublié, un monde qui n'a peut-être jamais existé et qu'il faudra vaillamment inventer. Dans ce chaos, des mots émergent qui ont du mal à s'agencer, qui filent en tous sens comme s'ils ne cherchaient qu'à déranger. Finalement, il ne nous reste qu'à nous affaler.

18 novembre 2020

Once upon a time, I was there

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18 novembre 2020

Nota bene

C'est une belle journée pour pleurer, les larmes s'écrasent sur mes joues, dans mes songes, mais pour tout dire je reste sec. Mon bonheur matériel est acté, mais les idées adverses ne sont pas épuisées. Je suis aux anges, barbouillé de spectacle, mais quelque chose s'est évaporé. Car la confiance que je me portais est maculée d'au moins une partie du grand échec qui m'attendait. J'ai su surmonter l'angoisse, maquiller la peine, cacher quelques-unes de mes envies, errer le cœur plein de ceux qui m'aiment et vide de celles qui ont tôt vu que je ne faisais pas le poids. C'est ridicule quand on y pense et pourtant, pourtant, un autre ange pourrait surgir d'un coin de rue, me demander une cigarette peut-être, et m'embarquer dans une nouvelle transe, comme ça, par simple hasard. Il est de raison de croire qu'il faut être prêt à accueillir la fièvre à tout moment, quitte à en payer la dette lorsqu'elle est retombée. On peut subsumer le quotidien sous quelques apparences bien avisées, mentir aux autres comme à soi, sans même le faire exprès, pour ne pas briser la coquille qui ceint notre foi érodée, mais dans le noir, au fond de notre abîme, un guet-apens nous attend. Des créatures sans corps surveillent l'instant où l'on va plonger, comme si pour avancer il fallait en passer par toutes les douleurs. Alors on saute, tête baissée, sans ourdir de mauvais projets, simplement une boule dans le ventre qui manifeste la peur du rejet. On pourrait ne pas avoir à s'en préoccuper, on pourrait se blinder et hurler seulement en nous-mêmes, sans chercher à briser cette confortable stase qui émerge bien trop longtemps après la fin de nos romances, lorsque l'on a fini par concéder que c'en était assez. Est-ce jamais assez ? Tout nous y renvoie : la pub, les infos, le cinéma, une large gamme de gens et... la musique. Ah ! La musique. Dans mes playlists j'entends tellement souvent ce mot-clé : love. Est-ce un mirage ? Une réclame pour de la Triple Karmeliet ? Le grand monde court après, obstinément, obsessionnellement. Sinon, à quoi bon bien manger, faire du sport, être propre et bien attentionné ?

Mon désert est ouaté, parfois j'aperçois une oasis, je me dis ça y est on y est et je veux m'y installer. La dernière a tenu trois ans tout de même avant de s'apercevoir qu'elle pouvait se passer de moi pour exister. L'hallucination a duré et le château de sable que j'avais construit s'est effondré. Sans doute m'étais-je trompé de rêve, encore une fois, bien que ce ne fut pas faute d'avoir essayé. Ce lot est commun, un sample universel, une ritournelle psychicide, c'est l'hymne de nos cités. Après, on se met à faire des projets, parfois de grands projets, des projets qui ne parviennent pas à cacher notre pulsion romantique, parce qu'ils ne surgissent que pour nous y préparer. Voyez ! Je me lance dans le développement web et, nonobstant que ça me fait progresser, je sais que l'objectif désavoué est pourtant très largement prémédité. Est-il trop tôt ? Ou peut-être que je suis trop vieux déjà... Mon ventre fait bombance, mes pantalons traînent sur le goudron, il y a des taches sur moi et au fond de moi. Les claques sont toujours rudes, je ne réponds pas au cahier des charges de notre modernité, je ne suis même pas suranné je suis à côté. Me trompé-je ? Hé ! C'est possible. Derrière ma complainte ridicule se terre un besoin de plaquer un daguerréotype de mes sentiments blessés le long d'une nuit amusée car divertie de sa fantasque vacuité. Il s'agit d'affronter un vide qui, malgré quelque effort ou même subséquente réussite, aura peine à trouver son pendant de plénitude. Celle qui m'aura trouvera mes envies d'être loyal et compréhensif, ce qui devrait être dans les termes de tous les contrats de ce genre jusqu'à l'épuisement des autres clauses, couronnant un accord également s'il n'est que tacite. Si par malséance je me trompais je ne reste bon qu'à brailler et à essuyer les plâtres avant même d'être accidenté. Je reste là, sans bouger, à me poser des questions, à faire des métaphores, à brouiller les pistes, à crypter mes pensées pour simplement me résigner devant mon incapacité à m'avancer devant elle. Bien que pour l'instant j'aie surtout envie de la connaître sans prétendre l'emmener vers l'éternité, je me griffe le cœur d'un échec dont j'anticipe l’avènement en en inventant les péripéties. Pleutre que je suis, invalide social, prisonnier apathique en ses propres murs. Le bruit inonde mon esprit, parasite, et je dégouline de mots insipides. Peut-être demain serai-je plus apollinien, après-demain plus dionysiaque et un jour prêt à attaquer mes écuries d'Augias sous l'égide d'un blues solaire. Pour l'instant, prétextons qu'il est temps d'aller dormir.

18 novembre 2020

Comme un doute, un de plus

Analphabète du cœur, torpilleur d'amitiés, cancre invétéré en séduction... Misère, oh misère ! Que nenni dit la petite voix, cancrelat nous dit une autre. Il n'est que de voguer, prendre notre colère en patience, tergiverser, oui pourquoi pas tergiverser. Inventer des arrières-mondes et becqueter notre bonne humeur en chantant des bêtises tout public. Qu'avons-nous appris ? Je crois que nous n'apprenons jamais... Il y avait pourtant de la place pour la raison. Mais notre enthousiasme était plus fort, il se débattait, imaginait un week-end qui chante et faisait apparaître quelques idées qui, de façon scolaire, avaient peut-être un intérêt. Travaillons notre grammaire, défoulons-nous sur un traitement de texte – le pauvre, il n'a rien fait – et tapons tant qu'il nous reste du suc. A quelle fin nous nous destinons, il est deux écoles. L'une, triste mais réaliste, nous emmène au creux du néant quand l'autre, joyeuse et fière, nous promet les étoiles et le tralala. Entre les deux, on ne rencontre que circonspection et acrimonie. Nous nous modérons, nous épiloguons un coup, sans doute trouverons-nous quelque chose de positif à dire sur notre désert le long d'une amertume qui s'étale dans le sable gris de nos états d'âme injustifiés. Après tout... rien ? Voilà tout, donc pas rien mais bon... On peut penser qu'il faut mériter ce que nous voulons et nous le pensons en filigrane, à peu près finalement, car nous sommes aises de croire que trop nous est déjà tombé sur la tête. Mais nous insistons, si si. Marginaux, a priori trop sales (peut-être pas dans nos têtes) et losers solaires, nous végétons dans des prémonitions qui ne trouvent jamais acte et nous n'arrivons pas à croire que notre destin est déjà bouclé. Qu'il faut le suivre, mal coiffés, drôlement habillés, avec une tache dans l'aile est de notre poitrine, des chakras en péril que notre scepticisme religieux nous fait prendre pour des lanternes psychosomatiques et une impossibilité à faire le deuil de notre retour parmi ceux qui réussissent. Oui, nous insistons. Car il est des personnes qui nous aiment tels et tant pis pour le reste. Nous baignons dans le Gange, avec une sorte de feu sacré qui nous fait persévérer dans notre immobilisme acclimaté. Et si nous nous étions trompés ? Et s'il y avait un avenir pour notre bêtise romantique ? Nous pourrions alors déployer un nouveau Livre de Vie, perclus d'odes soufies et de rêves à la Ib'n Arabî, de chants grégoriens qui se contentent de la matière, de kabbales fêtardes et de renversements de l'obscurité maladive de mes textes en lumière radioactive. Ce serait notre petit Noël rien qu'à nous, nous accorderions plus de place à mal écrire et nous deviendrions tout miel de certitudes que la Providence peut nous toucher un bon quart d'heure. Nous ne nous sommes pas trompés de siècle, nous nous sommes juste trompés de lieu, notre bohème est une utopie, elle n'est tout simplement pas, nous nous fourvoyons. Mais les autres, comment font-ils ? Pareillement ! Ils se bercent qui de belles illusions, qui d'une routine dans laquelle ils s'épuisent de façon obsessionnelle. Nous avons nous-mêmes de belles obsessions, ce qui nous range pour moitié dans chacun des cas précédents. Écartelés, décérébrés, oubliés de la Roue de la Fortune, il nous reste le plaisir d'être en phase avec un échec relativement heureux. Continuons !

C'est dans une comédie que nous errons, tout prête à rire – jaune, certes – et nous faisons de nos erreurs des sketchs à raconter comme si nous aussi nous avions vraiment une vie. Est-ce que nous demandons trop ou est-ce nous qui ne sommes pas assez ? Le bilan est le même, en sortant de notre Gange, nous sentons la misère, même si parfois nous gagnons à Twilight Struggle. Nous sommes d'humeur à nous poser des tas de questions. En fait, la littérature est un précipice pour les questions aux réponses impossibles et nous y jetons nos névroses pour les épargner aux autres dans la vie réelle. Malheureux celui qui nous lit, il n'y pêchera que le doute et le fiasco sinon les ordures d'un esprit qui se torture pour le sport. Mais nous ne nous jetterons pas dans les bras de la mort, il nous faut construire un monument à la gloire de l'impuissance à être des vôtres pour de bon. Il se tisse là, dans ces lignes, de façon un peu prétentieuse – ce que nous assumons – avec pour seuls garde-fou la bonne intelligence de la grammaire. Un chaos de pensées se doit d'y prêter allégeance malgré tout. Que serions-nous sans un bon Bescherelle ? Nous sommes comme les fous aux échecs, nous allons de travers mais nous en respectons la règle. Nous sommes ballons aussi, nous rebondissons. Pas très haut bien sûr, juste de quoi voir un petit peu plus vers l'horizon. Par prétexte que le Seigneur nous a lâchés, nous en profitons pour saigner. En mots, ici plaqués pour rien sinon un peu nous amuser. Car, oui, la langue française nous amuse. Quelques fois, nous pensons en anglais, en général c'est quand nous avons des chansons à balancer. I fucked my way up to the top, This is my show. Régal que ces voix plaintives qui par leurs sinistres paroles nous redonnent le moral. Nous ne sommes pas seuls, quelques hères s'enlisent dans les mêmes querelles avec eux-mêmes. Et ils y réussissent bien, auréolés de gloire – si si, ça arrive aussi – et enclins à poursuivre dans les ténèbres le temps d'un concert pour profiter d'un confortable bonheur acquis à la force de leurs réserves financières. Le mal qui nous ronge est juste une idée directrice, il n'existe pas vraiment, ce n'est qu'une invention didactique pour parvenir à nous plaindre avec style. Le bonheur fait trop de mauvais livres, notre malheur en fera un pire. Ici se trouve l'InterZone de nos humeurs, un gloubiboulga de phrases qui se suivent sans retour à la ligne, une œuvre bigarrée et sans rabot, un message à destination du vide qui veut nous engloutir dans un téléfilm. Merveille ! Merveille que la vie lorsqu'on en multiplie le sens et qu'on laisse le monde l'assaisonner de ses interprétations variées. Qu'en pensez-vous ? Qu'en pensons-nous ? Si je vous dis que vous ne tirerez rien de ces inepties, peut-être cela vous donnera-t-il envie de plus en lire. Par curiosité, pour piocher des pensées qui sembleront vous ressembler. En attendant, nous sommes quand même un peu meurtris par toutes ces idées, jetées comme une bouteille à la mer, qui interpellent sur la bonne séance de notre appétit romantique et romanesque. Ici, nous existons moins, nous déblatérons et la princesse dans son château pouffe de rire en nous lisant. Ou alors elle s'inquiète, nous croyant fous, en quel cas elle n'aurait bien sûr pas complètement tort puisque la médecine elle-même en a osé le diagnostic.

18 novembre 2020

Les muses vacantes

Billevesées en gribouillis, ramassis de soi, lie de la vie en prose, éructations maladroites, délires romantiques en toutes lettres, nous ne pouvons nous empêcher de croire que nous faisons fausse route. Et en même temps, la tête baissée, nous fonçons vers les étoiles. Qui peut nous arrêter dans cette odyssée ? Le fracas de notre motivation sans doute, lorsque nous deviendrons trop niais pour produire plus de cent mots à la journée. Alors nous appareillerons et attendrons la mort. A défaut d'avoir trouvé l'amour. Encore une fois, une fois de plus, puisque nous en avons toujours le goût dans la bouche. Ce n'est jamais de trop, même si au bout d'un moment on en a assez. Peut-être parce qu'on veut plus. A tout le moins... Now goodnight moon, I want the sun. Nous nous reprochons notre hébétude sociale, lorsque nous écoutons sans rien dire, et même quand on nous parle, et surtout quand on nous parle d'amour. Jeez ! Mutiques, nous écrirons encore un livre, un livre insipide, sans course-poursuite, sans explosion, peut-être un mort ou deux (triste sort commun) et il faudra qu'il soit bien écrit. Nous prenons les muses à temps partiel. Elles viennent, elles s'enfuient lorsqu'elles nous comprennent, qu'y a-t-il de si étrange, nous sommes étranges bien sûr et notre pouvoir est de n'en avoir plus rien à faire des clauses, article 2 alinéa 3 (4 ?) dans cette affaire. Nous voulons, nous aurons peut-être mais tant pis pour elles nous resterons les mêmes, arrêtant tout activité lorsque la playlist pointera sur Electric Moon, le son de quelques énergumènes. Rien à battre, tout de façon nous ne sommes pas violents. Tout est véhiculé par la musique, jusqu'aux pires excès, une guitare lancinante, And no-one showed us to the land And no-one knows the wheres or whys But something stirs and something tries And starts to climb towards the light. En attendant, nous sommes rompus, la séduction se fera derrière un masque – on ne touche pas, on ne s'approche pas – jusqu'à nouvel ordre. Elle est là, derrière sa caisse, bip bip bip, et je me rappelle d'elle avant la crise, alors qu'il était encore possible d'apprécier les traits de son visage mi-sérieux mi-tendre (mais pas pour nous) et de profiter d'un sourire, commerçant bien que pas désagréable. Toute chose ayant sa mesure, nous n'en faisons cas, même si nous aimerions nous en faire tout un cinéma. Soyons un peu Ponce Pilate, lavons-nous en les mains. Puis imaginons une éclipse des cœurs, tous les couples d'un coup de magie, seraient séparés et alors nous connaîtrions les chaises musicales. Bon, il nous faut une bonne chanson :

 

All those words you said to me

Meant something

But at the same time nothing

For I wasn't listening

I was getting into your soul

Your face has left an impression

Deep inside my cranium

When those thoughts are realised

It's here I find

That your face is in my mind

Yeah your face is in my mind

 

Nous ne fautons pas, nous restons à couvert des déboires sociaux de la plèbe nourricière. Nous lui offrons nos autels, nous vénérons ses grande ailes, à cette ange démonique en qui nous trouvons (pour l'instant) tout fantastique. Merveille que voilà ! Nous aussi nous sommes aux anges. Nous ne lui dirons pas, nous nous cacherons, nous apprécierons de loin le spectacle, nous nous torturerons sur 20 pages A4 Times New Roman taille 12. Et ce sera mieux ainsi, il ne faut pas prendre de risque, notre retraite sociale pourrait y trouver un couac et revenir dans le creux de ce jeu entre confrères qui nous excède. Nous le voyons arriver, nous sommes bons pour la Friend Zone. C'est bien d'avoir des amis, des tas d'amies aussi, mais nous restons dans le Hall d'attente, divertis par les passants et les filles tout à coup court-vêtues qui ne font qu'abîmer notre fierté. Serait-elle mal placée ? Revoyons une scène. Il est tard, la rue est déserte, un père autoritaire veille à l'étage au-dessus de celui de ma belle. Parce qu'elle est belle avec ses New Rocks, toute de noir vêtue comme alors je préfère, et j'ai à peine 19 ans. Elle sera la première, mais si j'ai un souvenir très net de notre premier baiser je n'en ai aucun de notre première fusion. Je n'emporte pas ça avec moi, ce qui va en désespérer plus d'un. Comment ça s'est passé ? Je ne sais pas mais ses seins étaient parfaits. Nous nous étions rencontrés sur Caramail, le chat à la mode au XXe siècle, où tout était possible, presque plus qu'aujourd'hui, au milieu de phrases entrecoupées d'autres phrases, d'autres conversations. Un chaos pêle-mêle de conversations, une grande fête pour la branlette sociale. Et il y avait un salon Metal sur lequel une fille – en étais-je sûr à ce moment ? - timidement pianotait des mots en aquarelles. J'eus tôt fait de passer en privé et de la rencontrer In Real Life, comme disent tous les gamers (tous ?). Pas de photo, ce sera une surprise complète. Puis nous nous sommes embarqués pour deux longs mois dans la piqûre de l'hiver, à nous retrouver la nuit et à trouver nos vies tout à coup plus agréables. Deux mois, pas un de plus et une séparation dans la douleur et le sport. On vaque à nos rêves, les siens n'étaient pas les miens et elle est tombée dans les bras de son ancien prof de guitare qui avait l'avantage d'avoir un meilleur doigté que moi en ce qui concerne la vibration des cordes. Soit. Je n'ai pas pleuré, j'ai juste fait face à mes premières véritables angoisses. C'est le jeu ma pauvre... Je me permets de ne pas rentrer dans les détails de cette histoire qui restera toujours entre elle et moi maintenant qu'elle a disparu de tous les radars. Si je résume rapidement le scénario de cette dolce vita express, c'est qu'elle m'a assez marqué pour rentrer dans ce livre à cet endroit choisi par hasard à dessein d'énoncer de simples faits sans cryptage. Vous êtes servis, vous ne l'avez ici rencontrée que de très loin parce qu'elle a pris assez de place dans mon esprit pour que j'en fasse un trésor personnel, de ceux que je ne livrerai jamais dans leur entier. Poursuivons !

Souvent, on est assez serein pour ne pas le voir. On bricole des morceaux rouge feu ou noir d'encre, sans aller se perdre dans les nuances du spectre chromatique, on en a honte, le rose est presque tabou, le jaune soleil ne fait naître que l'ennui sinon chez les amateurs de Paulo Coelho et le vert nous rend suspects. Rouge. Noir. Le sang et la mort. Une cascade p.123, deux blessés. Une fusillade, il était temps, p.412, trois morts, le héros s'en sort et la belle est en sécurité. Puis nous résolvons le tout, le complot était tiré par les cheveux, la chute imprévisible et le héros épouse la fille du commandant. Petit nota bene de conclusion : l'humanité est sauvée et le prix du baril de pétrole reste stable. En matière de romance aussi il peut y avoir des rebondissements et des cliffhangers équivoques qui font espérer une suite (mais ce n'est pas sûr), des dévers d'émotions du genre mielleux ou aux odeurs fines de lavande industrielle. On pleure, on rit, il y a des méchants et des gentils. Alors, le temps fait son œuvre, on se redécouvre, on veut conquérir l'univers et en tout premier lieu la princesse coincée dans le château de Bowser, un hère bon allant qui contrarie des projets de toute façon stupides. Die and retry avec une autre cible. C'est l'impermanence avant le dernier coup de foudre, qui se conclut sur 30 ans de bonheur conjugué et une palanquée de mioches à envoyer à la fac. Deux peut-être. Les joies et les brisures de la parentèle, une osmose trafiquée, des coups durs salvateurs et une famille recomposée. Les enfants doivent-ils appartenir à leurs parents ? Faut-il d'ailleurs continuer d'en faire... voilà la thématique principale dans un monde dégénéré en partance pour pourrir les planètes d'à côté. La Lune pourrait devenir un bon spot de villégiature, la vue est superbe, les prix seront bientôt annoncés, on y emmènera la princesse qui se trouvera peut-être dans un nouveau conflit d'intérêt. Or, la série Black Mirror nous a mis le doute : notre présent est-il souhaitable ? Notre avenir est-il viable ? Questions bateaux pour roman-fleuve d'où s'écoule la sève de notre être, le nerf inconscient de toutes nos guerres, le centre d'attention numéro un : la princesse dans le château de Bowser. J'en connais qui aimeraient se pavaner avec elle, faire montre de leur sex-appeal, signifier peut-être que la réussite et l'argent en sont la clé. Ils se sont trompés de romance. Mais nous, que voulons-nous ? Faire bombance, nous prendre des paillettes dans les yeux ? Nous n'exhibons que notre impuissance... C'est sans doute mieux – merci Pascal – de savoir rester seul chez nous. Des heures qui s'étirent, des bulles spéculatives de projets, un néant qu'on comblera au bar, trois rues plus loin, en abusant de bières amères. De ces mots plaqués on aurait tôt fait de croire que j'ai abandonné sourire pour plonger dans la sinistrose, constat logique qui élude ma joie d'être au mitan de la réalité. Je contemple mes démons pour les laisser flétrir en mon for le profond et l'Histoire, qui s'occupe des siens, me rit au nez. Or, il y a bien une créature étrange qui repeint les abîmes de mon âme de sa bile acide et froide. Elle ausculte mes pensées, me pousse à vomir des mots, emprisonne toute échappée généreuse de candeur dans l'antichambre des espoirs devenus obsolètes ou trop ambitieux. Reste la bonne humeur, que cet exposé, épargné à ma psychiatre, magnifie pour la rendre plus belle. Oui, reste la bonne humeur.

Nous sommes assis là, à nous regarder vieillir, avec des forfanteries comme projets. Il faudrait tout bousculer pour assouvir notre avidité, bien qu'elle soit fort commune. Les réseaux se défont et se refont, l'arbre des possibles pousse sur des racines pourries, l'empire des anges est à portée d'un délire, Thanatos nous sourit, la matrice nous suffit, nous manquons de mots pour bien le dire mais... amour, égrène ta vanité ! Nous sommes reposés, seulement un flux de niaiserie nous encourage à l'action, à l'histoire sans fin. We are machines of loving grace, So take my hand lets fly through space, We can save the human race (Princess Chelsea). Parce que, ironie du sort, nous ne sommes pas sevrés de l'amour maternel et nous rejouons Œdipe. Mis sommairement en forme, le cahier des charges n'est pas encore bouclé. Nous le remplissons, le raturons, rajoutons, discriminons, soulignons au stabylo vert les impératifs catégoriques en quête d'une raison pure et découvrons la métaphysique de nos mœurs dans une consigne automatique oubliée. Voilà, nous cherchons quelque chose qui n'existe pas. Nous sommes prêts à négocier pour un ersatz de volupté mais nous serons intransigeants sur la façon dont nous le traiterons : avec bonheur. De sorte que nous sommes d'une certaine espèce de croyants : des mécréants qui font le pari d'un peut-être et d'un peu d'être. Ce que nous voulons c'est entrer dans le plasme en restant sur Terre. Voilà à quoi nous dépensons notre énergie, si peu, voilà ce à quoi notre cynisme nous interdit pourtant de croire. Les dés en sont jetés, nous verrons bien. En quête de l'Autre, en quête de nous-mêmes, nous arpentons les couloirs discrets de la société en faisant autant de bruit qu'il est permis alentour. C'est un jeu, nous entrons dans des pièces pas trop populeuses pour échanger nos points de vue intéressés à raison de la force de nos cœurs et à destination d'un public qu'on finit par espérer acquis à notre cause de rédemption personnelle. Nous voulons nous racheter en buvant un café, nous voulons aussi mûrir comme d'autres inhumains le firent. Mais toujours nous voguons, assoiffés et fiers d'avoir résisté à continuer nos délires, vers la terra mystica de nos rêves, en restant si possible assis, lourds du poids de nos désirs. Il n'y a pas de tutos, ou alors de mauvais, et nous errons en chantant la fin des temps dans laquelle parfois nous aimerions précipiter l'entierté de l'univers connu, pour qu'il n'y ait plus de barrière, pour que le plasme nous enceigne, pour qu'il n'y ait plus que béate placidité d'exister et rhum à volonté. En attendant, nous irons au bar...

18 novembre 2020

Escarmouche

dialogue de stars

18 novembre 2020

Maladie d'un jour

J'ai pris ma glose en grippe, je la regarde sans passion, comme si rien de notable n'en avait permis l'éclosion et je m'affale dans un vague-à-l'âme distrait par le tempo incessant de la musique. La fatigue morale me ceint bien que je sache qu'elle va vite disparaître après le passage d'une nuit de sommeil. Tout s'est arrêté dans la stupéfaction, il ne reste plus qu'à l'écrire. Je fomente des coups d'Etat contre tous mes projets, je vacille perclus d'affects et je ne trouve plus de direction sinon attendre. Patienter. Faire des rêves mauvais. Maudire l'éternité et les folies du passé dans un bourbier déprimant. Il faudra pourtant avancer. Accomplir quelque chose, sortir de l'ornière, montrer que nous valons mieux que ce que nous croyons, décrocher une étoile en s'y brûlant pour passer à autre chose que la vie en prose. Le monde va redémarrer, nous devons nous y préparer, ne serait-ce que faire partie, enfin, de la communauté. De propos blessé, je suis vissé à ma chaise depuis laquelle je devrais coder. A défaut, je tente une approche, je me laisse emporter par une transe maniaque de réflexions sans structure qui ne s'applique qu'à digresser. Que de temps perdu à la poursuite de ma félicité. Celle-ci s'approche, repart, revient, s'enfuit et disparaît quelques heures jusqu'à-ce qu'une motivation nouvelle surgisse, qu'un sursaut d'envie de bosser me prenne, qu'une fleur pousse dans ma tête. Retour au labeur, largage des dernières lourdeurs, et pourtant tout cela sonne creux. Nous nous sommes préparés à vivre cette journée mal-aimée avec l'ordinateur en perfusion et nos émotions en allusion pour appréhender la moindre beauté de ce monde médiatisé par cet écran duquel je ne lève pas le nez. Nous nous sommes dit : c'est le moment de couler. Mais la vie reprend ses droits, j'imagine des scènes sans effroi, je réalise mon film comme si elle pouvait être mienne. N'est-ce pas être possessif ? Sans doute... Car j'attends la fusion, douce folie d'un âge éteint où il était convenu qu'on ne pouvait qu'être soudés ou pas attachés. Nous nous fourvoyons, nous croyons bêtement en des fables publicitaires et nous vivons de rêves et d'échappées belles. Quelle méprise, quel culot de croire qu'on peut voler un cœur et l'enfermer dans nos jalouses pensées autoritaires. Nous ne sommes pas de cette époque ? Nous ne sommes d'aucune époque... Tout ruisselle sans nous, l'amour est un attrape-niais dont il faudra que nous apprenions à nous passer. Nous volerons plus loin, jusqu'à Copenhague peut-être, que d'autres folies nous bercent, que nous partions en quête d'autre chose, que nous volions encore un peu au-dessus de la fournaise, sans cet espoir ridicule d'être le centre d'attention d'une personne dont nous froisserions la liberté. Car voilà ce qui nous attend : le besoin incessant de sa présence, de souffrance en malséance.

Les oui-dire pullulent, ils se répandent, ils vont partout avec force de vente et je me demande si elle n'a pas des doutes. Dans l'alcôve de ma crypte je mûris des pensées qui, si elle ne sont pas tabous, sont sans objet légitime. Et je m'en punis, me débarrassant de mon fiel sur le world wide web, comme si elle allait me répondre. C'est un piège subtil, fait de bla bla inutiles sur l'échec que je m'autorise encore une fois. Nous n'avons pas assez de férir, bientôt nous voudrons périr. Sans passer à l'acte, juste en y pensant comme une alternative. Pourtant tout va bien, les terrasses vont rouvrir, de la bière fraîche sortira des fûts et nous ferons comme si notre gêne n'avait jamais existé. A parler de nous tout le temps. Et l'assumant. Car dans mon petit chez moi, je n'écoute que moi. Just me, myself and I. Je le chante sur tous les toits. Nous sommes au carrefour qui décidera notre avenir. Si les dieux absents se prennent d'être quand même avec nous, nous partirons loin d'ici en reprenant les rênes, pour commencer autre chose, vivre différemment et apprendre à mentir en danois. Ce serait l'apothéose, le climax de cette épopée à l'issue certaine. Submergé des râteaux accumulés au cours du temps nous penserons peut-être à faire du jardinage, nous nous en servirons de tremplin pour voir plus loin. Mais les dieux sont absents, il n'y a que nous et notre peine immotivée. Nous râlons en chanson, nous crachons la bile acide qui agite notre piètre déraison. Nous courons vers un affront. L'affront terminal, celui qui nous laissera sans voix, inaptes devenus ineptes. Nous ne marquerons pas notre temps et d'être anonymes nous chercherons à être oubliables et oubliés. Ce sera notre réussite, nous traverserons seuls l'espace urbain avec le bonheur d'être invisibles. Vraiment ? N'oubliez pas qu'ici nous n'est qu'un je(u). L'un irrésolu à gagner, l'autre résolu à perdre. Notre esprit est fracturé... L'indécision règne en maître, rien ne doit changer et avant de faire un pas on hésite cent fois. La forêt est bien cachée, je ne vois qu'un arbre dans cette rêverie d'un promeneur solitaire. Derrière il y a les amis. Ils méritent notre gratitude en étant d'un naturel qui m'échappe en termes de réalisations sentimentales. Bien sûr, il y a eu des femmes sur notre chemin et quelques-unes ont tenté le coup avec la foi qui permet de dépasser toutes les inconnues. Elles ont été vaillantes car elles ne nous ont pas juste accepté elles nous ont supporté, mon verbe et moi et à l'occasion l'absence totale de paroles. Nous nous rappelons bien cette période clé, épuisés cognitivement par les chemins que la psychose nous a fait emprunter dans l'hallucination. Le sort en était jeté, j'étais muet. Nous avons connu ailleurs, malgré tout, un amour mystique à sens unique et débordant de tendresse mal placée. Elle aussi elle a soupé de nous. Heureusement, une fois la tempête passée elle a sportivement accepté nos excuses plates et sincères. Un délire simplement mais un délire qui a duré un an. Je l'ai laissée se retirer de ma vie pour toujours, penaud de mes frasques homériques. Parce qu'à dire vrai, c'est toute une saga que mon précédent livre raconte, une relation épistolaire sans retour, un monologue aberrant et fantasque qui a poussé la littérature dans des lieux interdits sinon pour se divertir, insanes et dérangeants comme quelques mauvais films. Une romance tout de même, un espoir tenace que nous volerions et arroserions le monde en feu pour faire surgir nous ne sommes pas sûr quoi mais quelque chose de mieux. Le récit se termine à l'hôpital...

Malades et maladroits, nous passons. D'un coup de colère la messe est dite, nous sommes étranges. Nous n'avons pas fini de ressasser ce qui pourrit en nous-mêmes, c'est un jeu du je qui se dit nous pour feindre de ne pas être seul. Chacun son pré, les vaches seront mieux gardées. Nous sommes brouillons, nos désirs sont plein de doutes bien que certains sur nous soient pétris de certitudes impossibles à ébranler. C'est le système paranoïaque de croire qu'on nous en veut mais la machine ne veut pas s'arrêter. Par bonheur, on s'y fait. On intériorise le malaise, seuls ceux qui me lisent le voient. C'est un malaise métaphysique qui n'impacte pas la bonne humeur de la vie courante, une simple querelle avec nous-mêmes. On lâche des mots forts qu'on pense sincèrement mais qui n'ont pas dessein d'impacter le plaisir d'exister. C'est peu dire en fait, lâcher un aspect plutôt qu'un autre de la perdition, et aujourd'hui nous sommes troublés. Quelques démons en carton ont refait surface, l'angoisse a repris de la place, parfois une idée noire s'immisce. Quand une de ces dernières surgit, on temporise, demain ça ira mieux et nous l'écrirons. Je me voyais déjà au nord de l'Europe mais la foudre a frappé ma motivation. Il est des intelligences que l'on n'a pas, il faut savoir s'en accommoder, et la programmation me rend confus. Triste constat qui nous permettra de faire un autre genre de pas en avant. Nous verrons bien. Il nous restera un peu de fiel, nous le garderons pour notre gouverne, sans médire si nous pouvons (mais nous ne pourrons pas). Et parmi toutes les cruautés nous choisirons celles qui nous permettent d'être cruels avec nous-mêmes. Nous passerons. Invaincus et tout juste debout, nous affronterons les vindictes que la paranoïa nous fait croire le reste du monde fomenter. Parce que parfois, devant la vitre sans teint qui nous en sépare, nous n'y voyons que nos travers. Le motif de nos vagabondages trouve sa prise dans une irrésolution à être du même tonneau que le reste de l'humanité. Nous lui ressemblons malgré tout, à la surface, bien qu'il y ait déjà des craquelures, et nous faisons ce rêve de romance aussi bêtement. Nous sommes coiffés, nous sommes habillés, nous sommes sociables, mais nous sommes mal coiffés, mal habillés et sociables à nos heures disposées seulement. Vaille que vaille, le monde s'offre en récompense de notre patience, les petits malheurs s'exposent et nous continuons de tourner autour de nous, comme s'il n'y avait rien au-dessus sinon des us qui ne nous intéressent pas. Bien sûr que nous faisons ce rêve de romance – et après tout pourquoi pas ? - mais les nuages sous nos pieds en cachent la vue. Notre solitude est grégaire au besoin, il ne se passe rien sans les autres ou en tout cas ce qui se passe a moins de valeur que dans cette tempête de rires et d'émotions partagées. Prétextons qu'un jour nous irons mieux, peut-être lorsque le porte-monnaie se décidera à nous laisser dépenser.

Ici c'est un confortable pénitencier, où l'on coule des heures flasques en mûrissant sans y croire la relève. Revolution solution, I have come to join you. Enfin, pas vraiment. Après tout tant pis, si nous ne pouvons connaître l'extase du baiser d'une princesse (comme dans certains films) alors que le monde périsse ne nous intéresse plus. Après nous le chaos. Comme avant finalement. C'est facile de tout laisser tomber, les amis, la famille, un quelconque bonheur en argile pas très épais, à la place nous avons choisi d'être un soleil qui s'éteint mais brille toujours un peu en souriant devant le mauvais sort. Tout de façon, ce mauvais sort a périclité, nous avons retrouvé un semblant de bonne mine – est-ce que nous faisons semblant ? La roue tourne. Elle tourne, elle tourne, elle tourne, c'en est presque grisant. Un mot au sommet puis une impasse, ce qu'il y a de plus intéressant à raconter en l'occurrence. Nous ne voulons pas simplement être aimés, nous le sommes déjà, nous volons un corps nu, une âme qui se déverse en nous et de la complicité physique. C'est sans doute trop demander aux étoiles, alors nous passons... Nous repassons par la case départ, sort pénible source de renouveau, de vitalité retrouvée, d'innocence peut-être (parce qu'on ne nous connaît pas encore assez bien). La roue tourne. Oh ! Ce qu'elle tourne. Les boulons vont-ils sauter ? Tout va-t-il exploser dans le ciel de nos piètres idées ? Puis une chanson. Nous déchantons, encore une histoire d'amour. Lana Del Rey, tragique : Heaven is a place on Earth with you, I tell you all the time. Et Natasha Saint-Pierre : Moi je t'offrirai... tout ça tout ça, peut-être plus, sait-on jamais ? Et la femme chocolat, elle nous donne faim d'amour, un morceau de chair à croquer, et rapidement des idées déplacées. Nos rêves ne veulent pas admettre la défaite, une part de nous cherche les conquêtes sur le réel, qu'il devienne un feu d'artifices et que tout le monde s'en rappelle. Mais nous ne parlons bien que sur ce bout de papier, nous n'avons trouvé qu'un abri-bus abandonné pour psalmodier nos prières et y inscrire nos hurlements dans la fièvre. Quant à elle, que fait-elle ? Je ne pense pas qu'elle s'inquiète, son affection est peut-être superficielle, combien y a-t-il de peut-être dans ce texte ? Peut-être trop... trop superficielle ? Je ne sais pas, comme je vous dis : peut-être. Un mirage de plus, une accroche pour un jeu sans dénouement, le début d'une ritournelle dépitée qui répète les mots qui s'échappent de cette aventure éolienne (qui brasse du vent) et à la fin notre sempiternelle défaite. Pourtant, nous sommes en fête, la liberté nous sied, ne rien en faire serait sans doute péché, alors nous l'apposons sur un brouillon. Tout ce qui s'y dit dans la minute est moribond. Bah ! Nous aurons sculpté, ausculté, réparé, conjecturé, dévalisé, jusqu'à tout rater en permettant que subsiste une trace de ces envolées mentales. Je suis là à réclamer la Lune déjà conquise, je suis en territoire occupé, le maître des lieux dérangé par mon entremise. Quoiqu'il en soit, on ne parle pas ici de grand amour, juste, pour chanter encore ce refrain, une histoire de peut-être.

Mon esprit est une décharge mais on peut en aimer l'apparaître, ici tout est apparaître, litanie de plaintes emphatiques, déluge de sermons à nous-mêmes aux horizons trop lointains. Je vois bien le soleil se coucher, la pluie tomber, mon cœur souffrir d'un ou deux bleus mais je persévère dans mon être. On pourrait croire que je transpire d'abattement, or il n'en est rien je fais juste le tour de mes névroses comme on chante en concert. Je me concerte, à la recherche d'une perle de vie. Et, ma foi, ça fait avancer le Schmilblick. Nous volons à allure plus ou moins régulière vers rien du tout, mais tant pis hein ? Du moment que nous volons, un baiser, un bonbon, en voyage au-dessus des tourbillons de vent pour le meilleur et l'espoir d'une tragédie grecque : immeuble en flammes, aucun de mes textes n'a survécu. Il me faudrait un éditeur malin pour publier mes complaintes récurrentes, les donner au monde en 27 langues – en danois aussi ? Bien sûr puisque Kierkegaard nous regarde (un ancien danois devenu vapeur d'éther dans le plasme originel des idées éternelles). Ça aurait de l'allure, un goût d'achevé avec quelques phrases bien construites au milieu d'un maelström de mots épiques et bariolés. Un univers s'ouvrirait et la princesse serait alors peut-être à nous. Nous aurions vaincu le boss final, le jury du Goncourt, et nous vendrions au moins une dizaine d'exemplaires de la première édition, prête à être remaniée pour cueillir les suffrages d'une foule en délire réclamant la suite à cris perdus. Ou pas... Ah ! La ritournelle sans terme. Ne t'en déplaise Philip (K.Dick), contrairement à ton foireux plan de carrière, nous espérons une gloire pré-mortem.

18 novembre 2020

L'instant gris

Le roman commence par un instant météo, c'est une pratique commune de commencer une histoire sous les desiderata du temps. Un coup il pleut, un coup il y a un soleil éclatant qui promet des choses impossibles à des héros ravis. Tout le monde lira au rythme des nuages qui passent, sans autre perspective que la sinistrose des brumes et l'éclatante démesure des horizons qui s'échappent en aquarelles de jaunes et de rouges. Et aujourd'hui le temps est passable. Peu de pluie et une lumière qui traverse le ciel gris pour nous signifier que la journée n'est pas terminée et qu'il reste des choses à régler. Des choses graves, des choses qui nous gouvernent, des choses qui nous possèdent. Au-dedans, il reste un peu de brillant pourtant. Celui que nous offre l'honnie liberté de remplir notre journée comme bon nous semble, si l'humeur nous sied, ou de ne juste rien faire de constructif, de zoner sans destination d'une série à l'autre sans que rien ne nous éclaire. Le brillant devient trop fort, indigeste, on se remémore sans substitut nos échecs et nos espoirs déçus. Que faire ? Que produire ? Lâcher du lest, jouer à Crusader Kings (III), se dire : allons, se peut-il que tout cela ne soit qu'une simple bagatelle ? Je prends ma tête à deux mains, je la secoue et il n'en sort pas même la fumée de cette usine maudissant le temps qui conduit tous les processus de mon corps, que ce dernier pense ou végète, ait des idées ou commande ma digestion dans le secret. Et tout à coup, l'on flotte... impuissant, juste hybridé à des machines et happé par le cyberspace.

18 novembre 2020

Chaoscopie

Terrible affaire, moment de perdition, enjolivement maladif d'un chaos qui se cherche ordre supérieur, la cuvée 2020 est bonne et je me laisse porter jusqu'au CMP par les visions éphémères et répétées qui obstruent l'horizon dans un halo sonore, parasitaire, dérangeant. Est-ce que je délire ? Que je me pose la question est sans doute déjà un début de réponse. Mais il ne faut pas se précipiter dans les limbes, il s'avère prudent de prendre les choses avec la détermination de ne pas flancher, rebelote, dans les complots et les faux-semblants, surtout lorsqu'ils marinent dans des effluves de pensées impossibles à retranscrire sans violenter la grammaire classique. Alors j'attrape le premier ami à ma portée pour me conduire vers des gens sérieux qui épouseront la cause de mon cas en me délivrant les molécules d'une Alliance Nouvelle avec la réalité. Pour un peu, je verrais des bruits, j'entendrais des images, je me coulerais dans des hallucinations fantasques. Mais il y a l'angoisse. Tout à coup, je ne sais plus qui est là, qui est vraiment là, la duperie alimente les errements de mon amouropathie sévère et insubmersible. Le monde, mon monde, se résume à cela : des claques à l'âme, des râteaux amicaux, des vents doux qui me remettent à ma place. J'ai peur de repartir en absurdie, de filer le plus mauvais des cotons en harcelant la bienséance de mes jérémiades bizarres et mal agencées, de vriller dans le bois des autres et d'enfermer dans des mutismes passagers des impressions de malversations calculées et très bien organisées. Je ne suis alors pas un amoureux transi, juste un fou qui réclame une pitance commune, une complicité physique, peut-être une sorte de grâce, bien qu'elle ne soit pas forcément légitime. Comment juger de ce légitime ? Socrate a posé la question, 2500 ans plus tard on élabore encore des systèmes dans l'espoir d'une réponse.

Je laisse tout en plan, nous partons. Je prends la peine de mettre trois livres dans ma sacoche mais je ne pense pas à prendre des affaires propres. L'hôpital sera mon sauna et je m'enivrerai de ma crasse et de cigarettes roulées. Je ne sais pas encore si j'irai visiter – à nouveau – l'établissement de santé mental comme patient mais les probabilités vont dans ce sens. Mon collègue est hésitant, il obtempère à mon jugement : je vais voir un infirmier. Nous roulons paisiblement dans les rues d'une Dinan qui a retrouvé la forme et l'ouverture, enfin, de la saison haute après deux mois de confinement. Il est question de ce que je vois, de ce que j'entends, de ce que je veux faire. Droguez-moi ! Les gens grésillent, le blob bleu s'invite désormais dans la voiture quand autrefois il ne se manifestait que dans le coin nord-ouest de ma chambre au moment d'aller se coucher et une radio écorchée fait office de bruit de fond. Des gens apparaissent, disparaissent, laissent des traces comme des filaments dans un spectre terni tout en nuances de gris. Il doit se passer des choses dans l'arrière-monde, mais je n'y prends goût qu'en demi-teinte car il y a encore un espoir que je ne sois pas complètement parti. La résistance se met en place, il faut aller vite vers le corps médical, lui imposer mes doutes et mes lubies, mes visions et mes voix, peut-être en les trompant, peut-être que c'est moi qui me trompe sur les causes de l'événement. La voiture roule. Marcher aura été pénible, bien que le soleil ne soit pas encore une masse de plomb. Autour tout est trouble, des fantômes me croisent, ma psyché est lourde, la résistance se met en place. Répétition avant le vortex complet, lâchage des chiens fous de mon inconscient débordant, des idées étranges qui macéraient au tréfonds cherchent le jour. Assis à l'avant, je ne bouge plus, je voyage vers une terre où je serai reconnu, apaisé, surveillé, materné, appelé à confesse va savoir. Je voyage vers le Club MEDicaments. La chimie est au point, il trouveront la dose ou m'abandonneront à mon effroi, non retournez chez vous, dans un monde qui a les défauts de la glace et du feu et les avantages de la tiédeur. Stupeur, élégante hébétude, tremblements psychotiques, un nouveau livre fera l'affaire.

Mon acolyte ne s'énerve pas, il sait déjà. Il y a probablement de l'inquiétude, de l'incompréhension, un doute salutaire, il nous faudra une explication et un dénouement. Il n'y aura pas de dénouement, simplement une pause dans la chronologie de mon affection chronique et inguérissable. Passage à vide ? Fête foraine plutôt. Et les boulons jouent dangereusement... Mon siège va s'envoler et je vais m'écraser dans un champs de Loxapac. Aucune haine, juste le devoir du soignant, un message d'Hippocrate, le serment toujours là, mon droit à la paix, à la fin de ce festival d'angoisse, mon droit à vivre comme les autres et pas placardé ad vitam dans un pavillon fermé où fermentent les restes de tabac accolés aux vêtements de la plupart des êtres survivants ici-bas. Je ne veux pas d'un destin à la Camille Claudel, pas même les déboires autistiques d'Amélie Nothomb, il faudra réécrire un livre je crois. Je ne m'imagine alors pas en sortir triomphant, juste délesté d'un peu de boue, prêt à revenir à la charge au moment opportun pour une petite victoire assistée. Je suis un assisté, oui, sans raison plaintive mais décidé à me décharger de mots pour votre appétit d'histoires loufoques avant de me transformer en Caligula et vous perdre dans un tourbillon complotiste qui n'aura de toute façon ni acte ni puissance, un délire d'éther sans accroche avec la réalité. Ma joie ne veut pas s'éteindre, elle. Elle tend à la perduration. Ma rage est en exil, le système m'a sauvé de son épandage urbi et orbi pour le bonheur de tous. Cette fois encore, les images et les voix écorchées ne sont pas celles d'un trip plaisant, je veux retrouver la médication, je veux n'avoir plus rien à penser d'autre que laisser s'égoutter le réservoir d'hallucinations, empêché de se remplir par des procédés chimiques licites. Droguez-moi !

Voilà que nous arrivons à mi-parcours, avec un peu de circulation, des piétons décidés qui traversent aux passages cloutés, des ombres qui s'agitent, des anges qui n'arrivent pas encore à me parler. Le voudrais-je ? 2014 n'a-t-il pas commencé ainsi, sur une injonction du ciel ? Je n'entends plus que son bourdonnement... Quand vont-ils m'agresser, voilà l'écueil du temps. Je vais mourir dans une déflagration cruelle avant de naviguer, peut-être, dans le plasme idéel et connaître les choses telles qu'elles sont en dehors de la façon humaine dont je les perçois. Ce qu'il reste lorsque tout a disparu. J'écrirai encore un livre, perché là-haut, rebut, marginal, mécompris et aimé tout à la fois. Je fendrai les nuages pour vous guider vers une parousie alternative, je vous transmettrai un peu de jus de folie pour que vous acceptiez votre ennui. Je le déchirerai pour que vous y reveniez.

Pour notre part, nous arrivons au CMP. Covid oblige, nous mettons nos masques, nous badigeonnons les mains de gel hydroalcoolique et attendons tranquillement le sursaut d'un infirmier pour nous laisser aller à la confession. Celle-ci est saccadée, brouillonne, elle surgit par bribes, elle est chaos. Presque je me fais gourmander. Non, mes raisons ne sont pas les bonnes. Et il me connaît, alors nous y venons. Espoirs de gloire, envie de m'expatrier, de toucher le jackpot, besoin d'autre chose, désir cruel de me justifier, pression sans fin. M'investir dans des formations professionnelles, me planter, me décevoir dans l'échec, finir en martyr dans un service psychiatrique. Oh ! C'est peut-être trop dire que de dire cela. Ici, dans le secteur où l'on m'envoie, je serai en villégiature, il n'y aura qu'à trouver le repos, lire, attendre la distribution des médicaments et l'arrivée des plats à chaque repas. On n'en sort pas traumatisé. L'affaire n'est pas encore tout à fait routinière, elle se manifeste à des moments où le trop-plein cherche réparation de la fêlure dans son argile, comme une surprise, un cadeau délivré par un millier de causes, des moins sobres aux plus futiles, qui se percutent toutes en même temps dans un carrefour invisible à l'intérieur de mon crâne. Le cumul des échecs, qui tous affluent et forment un océan possible de déperdition. Pour l'instant, je navigue sur le grand fleuve lacéré de tourbillons et des scories de mon apathie. Un cauchemar sobre, une expérience manifeste du doute perceptif qui bouscule les catégories, imposant de surcroît une incompréhensible métaphysique des mœurs.

C'est décidé, je vais voir ma psychiatre pour faire le point et intégrer une chambre dans l'hôpital local. Déjà déchet, je pars pour le recyclage de mon sang dans un bain chimique. Il n'y a pas mieux à faire, et sans doute pas moins... Je lui explique tout, dans le détail que permet une volubilité à l'arrêt, je m'extirpe à peine de moi-même en lançant quelques mots qu'elle peut comprendre comme le signe que je commence à flancher. C'est automatique, involontaire, je déblatère quand même en toute conscience. Elle l'intègre, me pose quelques questions auxquelles j'ai un peu de mal à répondre et finit par me saluer pour me laisser me présenter à l'accueil du centre tout proche d'ici. Les bruits reprennent, un ange malin essaye de me parler, je fais barrage et me masse le visage en grognant légèrement. Nous montons à bord de la voiture pour prendre le chemin officiel et le monde s'évanouit un instant comme tombé dans une flaque putride. Je ne pense alors pas au chat, cet interlude me fait l'oublier. La folie cherche à m'enserrer, je dérive sans voile à distance raisonnable du quai, ayant appelé à l'aide au mitan de la berge et de l'infini des possibles, encore disposé à revenir sur la terre ferme mais pas loin d'opérer un schisme dans l'appréhension du réel.

18 novembre 2020

Pensée déconstructive

Peut-on ne plus espérer de pérégrinations amoureuses ? En théorie oui. En pratique, on se retrouve toujours devant les autres, sorte de vitrine bucolique qui nous encourage à la recherche désespérée du morceau de nous-mêmes que la vie aurait caché quelque part dans le cœur d'une compagne mystérieuse. Où est-elle ? Que fait-elle ? Me cherche-t-elle aussi ? Source d'un stress permanent, l'idée de couple a perdu son charme au milieu de tant d'autres désirs non sexués. Sans doute est-il fort préférable que je m'extraie de cette obsession sauvage de vouloir mettre quelqu'un dans mon lit quand il existe des substituts efficaces bien que pauvres en chaleur humaine. C'est peut-être mes sempiternels échecs qui me poussent dans cette radicalité mais c'est sans doute une franche libération que de me dire que je peux très bien me passer d'une amante et vivre au moins cette chose qui me ceint d'une façon la plus générale : l'amitié. Liberté, veux-tu que je m'enferme dans la jalousie et le harcèlement possessif d'un corps qui a mieux à faire que de se lover dans mes incapacités sexuelles ? Je crois que non. Tu veux que j'aie de la compagnie, tu veux que j'aie de la joie, tu n'entends pas mourir dans des obsessions charnelles jamais synchrones. Alors je triche, je me déclare la guerre sans me faire souffrir, je m'imagine préservé de cette rengaine et ai l'intention manifeste de vous exprimer, à vous toutes, femmes sur mon passage, ma sympathie et mon amitié dans le respect du vœu que je formule désormais : en finir avec ce désir vain et presque chosifiant. Bien sûr on dira que c'est parce que je ne suis pas à la hauteur. Et on aura raison. Seulement, maintenant, il faut voir le monde avec moins de ce désir de complétude qui n'est souvent que l'annonce d'un projet d'incomplétude. Soyons libres ! Et merci d'être mes amies.

Coup de Trafalgar, une idée obscène m'a traversé. Ne vaut-il pas mieux que je m'évite la peine de me rendre disponible sur le marché de la conjugalité ? Après tout, entrer dans ce jeu c'est entrer dans une arène pleine à déborder de femmes qu'on repousse sur le terrain d'une amitié augmentée. Ce sera plus facile pour moi puisque je transpire la défaite dans une étrange félicité. Une avanie émotionnelle pourrait surgir, me couper de mes ressources, tuer ma liberté et nourrir des passions morbides dans l'aveuglement le plus strict. Le temps est venu de laisser la barque voguer sans second et de revenir sur Terre pour apprécier le vin de l'amitié, qu'elle soit masculine ou féminine. Il y aura toujours des images projetées dans ma tête qu'il faudra gérer comme on gère ses envies de meurtre, c'est-à-dire en les occultant. Le vide que j'essayais de combler ne pourra jamais être le centre de ma plénitude sinon sur un coup de chance qui, de toute façon, n'est pas promis à durer. Certains y réussissent malgré tout. Ils sont peu nombreux. Que faire d'un désir de propriété sur un corps si la notion de liberté a quelque valeur chez nous. On pourrait écrire un manifeste en l'honneur du célibat mais ce sera ici plutôt l'annonce d'une passion éthérée pour cette liberté la plus radicale. Il est probable que j'aie des réticences à me dévoiler sexuellement, il est certain que j'ai besoin de créer un climat de confiance. Je sens venir un danger, une catastrophe, la fin de ma sérénité dans le don comme dans la réception, quelque chose qui me ferait vaciller, une forme de syndrome de Stockholm bidirectionnel. Alors je me cache. Mes tentatives ratées sont très certainement la cause de ce retournement de casaque mais j'imagine quelque chose de plus stimulant que d'attendre comme un benêt la résolution de ce conflit intérieur entre la volonté d'accaparement et le jeu libre de toutes mes autres lubies. Voilà, désormais vous pouvez, mesdames, être sans crainte, je ne vous ferai plus l'affront de mes prétentions iniques. Je vous aime quand même.

Alors que depuis des années je quête dans la fièvre la femme qui manque à mes ambitions, je m'aperçois désormais qu'elle n'existe pas. Je viens de perdre une illusion qui aura tôt fait de réapparaître. C'est là le côté implacable d'une inconscience collective qui se présente à moi comme le summum de l'accomplissement. Et qui, si l'on met de côté la pulsion vitale, n'est que le reflet d'une culture qui veut s'imposer à moi. Bien que j'aie pu vouloir (très fort) avoir une personne à mes côtés pour rendre la vie plus désirable, il s'avère essentiel de comprendre que, au vu d'une expérience pas complètement stérile, je me plais beaucoup plus à ne pas rentrer dans des jeux de séduction autres qu'amicaux. Certains diront que je fais fausse route. Et un jour le cauchemar recommencera, futile et plein de souffrances. Pour l'instant, oui, il y a une souffrance, celle que je projette sur cette feuille, mais que serait mon monde s'il était moins libre ? J'ai déjà tout ce qu'on peut demander et quelques hères me serineront que je peux demander plus. Pourquoi plus ? N'est-il pas un adage de la sagesse commune qu'il faille se contenter de ce que l'on a, qui plus est quand on a déjà beaucoup ? Car je jouis dans l'opulence de ce dont d'autres peuvent avoir peur : la liberté. Je ne travaille pas pour une machine capitaliste dans la douleur des cadences et du rendement, j'ai du temps pour moi, j'ai des amis proches et de longue date, je peux écrire tout ce qui me passe la tête, lire tous les auteurs qu'on a oubliés sur les étagères d'un bouquiniste et jouer à déraison à la multitude de titres qui émargent de mon compte Steam. Pourquoi plus ? Je suis libre, c'est déjà plus que de raison. Ça pourrait être une souffrance. Or c'est un terreau fertile de stimulation onaniste. Je vogue en réglant le vent et sa vitesse à ma guise, me trompant parfois, dans une aventure curieuse qui s'intéresse à tout et qui ne s'arrête que lorsque plaisir se fait. Il arrive que l'ennui me submerge, c'est une piètre offrande sur l'autel de la joie d'être là.

18 novembre 2020

Chère inconnue

Chère inconnue,

Où es-tu ? Qui es-tu ? Que me veux-tu ? Ne serait-il pas plaisant qu'on se raconte, j'ai le sentiment que si, qu'il y a un abîme à combler et que nous avons beaucoup à nous dire dans l'alcôve d'un rêve écrit. Nous pourrions renverser quelques perspectives, voir les bonheurs que nous sommes capables de nous offrir sans nous jeter l'un sur l'autre à coup de photos et de likes, imaginer une toute petite bulle, secrète, qui n'aurait d'usage que pour nous, où nous pourrions tout nous dire, l'essentiel et le futile, le beau et même le laid, dans une litanie surannée de mots doux, enfiévrés, colériques, conciliants, confessant, cachant, jouant. Voilà ma bouteille à la mer, un désir de t'écrire, un espoir que tu y répondes, et qu'ensemble, juste toi et moi, nous refassions le monde à notre plaisir, qu'à la limite nous en créions un autre, parallèle, mesquin du reste de l'univers. Soyons muses l'un pour l'autre, défions les prophéties incantatoires d'un système qui nous voue à la vitesse et à toutes ses étourderies. Tu es là ? Ah ! Je crois que je t'entends. Mais ce n'est pas sûr, on nous épie, on nous surveille, on nous note jusqu'à l'épuisement, et je sens que tu veux faire une pause dans cette orgie de foudres éphémères. Es-tu là ? Montre-toi ! Libère-moi de ce fardeau en m'écrivant !

Je crois comprendre que je n'ai pas été à la hauteur de tes attentes en matière de déguisement et de charme plastique. Écoute ma plainte alors ! Viens dans ma tête, cette cabane acclimatée où je compile mes mots les plus beaux et où je rangerai, tout à côté, tes mots les plus fous. Tu ne dois pas être si loin, j'ai dû rater quelque chose, ma vue est trop mauvaise. Crie après moi ! Écris pour moi ! Tu ne vois pas à quel point je m'exclame et m'interroge ? Dois-je tout suspendre ? Et laisser la Providence faire tout à notre place ? Peut-être ne me vois-tu pas. Peut-être que m’effleurer t'a été inconfortable. C'est vrai que je ne répondais pas à tes critères. Je ne les connais pas tous, sans doute en as-tu en pagaille, mais la vérité est si crue que, c'est ainsi, tu m'as repoussé en m'ignorant. Mais ce n'est pas tout à fait juste. Car moi aussi, tout ce temps, je t'ai ignorée. J'ai attendu jusqu'à aujourd'hui pour t'écrire enfin, chère inconnue, et je suis plein de désirs de te connaître dans le fonds, un peu moins dans la forme même si je prédis beaucoup de la rondeur de tes mots s'ils pouvaient se passer de ces calculs algorithmiques pour enfin me trouver dans le jardin dont je m'occupe avec une obsession routinière et où se trouve la véritable clé de mon cœur.

Nous n'aurons pas l'éternité pour qu'enfin nos plumes s'expriment. Le temps presse. Viens vite ! Combien de lettres avons-nous manqué de nous écrire ? Combien de projets vont tomber à l'eau avant que nous décidions que, enfin, après tout, nous écrire soit le seul travail qui ait la moindre valeur ? Mais tu te caches, tu n'es pas sûre. Alors me voilà ! Regarde comme je m'époumone en vain ! Il est tard, je ne dors pas, je compulse maladivement ma souffrance stérile parce que je crois en toi. C'est vrai, je ne te connais pas... Aide-moi ! Sors du fin fond de ta forêt d'amis innombrables et consacre-moi une cure ! Car il ne manque que toi. J'ergote, je me noie. Viens me trouver, consacre-moi un chapitre qui n'engage à rien, que nous fassions tous les deux le chemin qui mène à laisser s'épanouir ce supplément d'âme que la modernité veut nous confisquer. Ensuite nous jouerons. Sur les mots bien sûr, mais pas uniquement. Tu ne me trouves pas d'humeur très drôle ? C'est parce que je ne le suis pas. J'attends ton homélie, croquons le corps de la langue française et vivons notre premier véritable amour épistolaire ! Impossible de savoir, chère inconnue, si le message vient vraiment à toi sans ta répartie fantasque... Écris-moi !

Et puis, sois volubile, lâche-toi, montre-moi autre chose que de la compassion, deviens le fleuve où baigne le style de mes phrases ! Cela prendra du temps, quelques digressions, mais tu en sauras plus que personne en me lisant et je veux en savoir sur toi plus que les autres qui de toute façon, sans trace, ne gardent pas mémoire des méandres de ton esprit qui, torturé, a pleuré en silence un joli mois de mai. Tu ne l'as pas dit, tu as préféré être cruelle. Et j'ai préféré être cynique. On dirait que tout est foutu mais c'est un leurre, ne te laisse pas prendre dans la toile des remords, rebondis dessus ! Après tout ce n'était qu'une étape. Sois ma Simone, je serai ton Jean-Paul. Et ensemble nous ferons un livre de nos confessions, le fruit de notre libido épistolaire, lequel sera peut-être sans visage, lequel sera peut-être sans corps, mais lequel deviendra notre plus profonde preuve d'affection. Platonique ? Hé ! Nous pourrions commencer par là.

Chère inconnue,

Tu n'es jusqu'ici qu'un coup de cœur, un coup de poisse, un moment de déséquilibre suave et véhicule de promesses sucrées. Tu n'as pas osé me répondre, tout engoncée que tu es dans l'attente de mon lâcher-prise, et j'ai continué à ourdir la plus mièvre des romances. Que fais-tu le soir, seule dans le noir ? Tu compiles les réussites des autres en un tas difforme d'espoirs déçus ? Viens, écris-moi, fais fleurir mon émoi ! Que faire de mieux que de te parler à l'impératif ? Je te cherche, tu m'échappes et je préférerais ne pas avoir à te commander une œuvre. C'est pourtant là le début de toute l'affaire. Au pire, j'écrirai un livre tout seul, plein de fiel et de reproches au ciel. La folie me guette, mon esprit, tout de verre, est prêt à éclater en mille querelles contre la dureté de ce réel et j'appose, sans trop de tact, mes lubies éternelles. J'éveille parfois l'intérêt d'un passant, on me lit rapidement avant de migrer vers des conversations à mi-temps. Je n'ai pas l'intention de te maudire, c'est simplement le signe de notre époque, pressée, sans patience – et moi-même je perds la mienne -, une irrésolution à prendre le temps. Alors je tente de me modérer, avec un succès relatif, suspendant mon jugement sur toi pour ne pas le rendre méchant.

Combien de heurts avant le bonheur ? Regarde comme je deviens commun, à utiliser des mots qu'on sait depuis toujours disposés à l'accolade, remplissant de mes souhaits ta répartie absente. Arrête d'hésiter ! Écris-moi ! Quitte à être violente, ce sera toujours un moment de partage. Crois-tu que je t'aurai écrit un livre avant d'avoir à clamer ton épitaphe ? Notre littérature est déjà prête à mourir sans trouver de fin. La fin ce sera la nôtre, tout sera laissé en plan, inachevé. Et c'est ce que nous voulons, non ? Lorsque le fantasme de tes mots aura disparu, il y aura d'autres mots, des mots de chagrin, le chagrin de n'avoir pas mis un dénouement à tout ça. Je me laisse dériver, j'attends de tes nouvelles. Parle-moi ! Suis-je dur ? Je suis transi et je parle tout seul, dis-moi que tu existes, que je n'ai pas replongé dans une autre bouffée délirante, que mes raisons, à défaut d'être raisonnables, sont légitimes. Parle-moi du passé, parle-moi du futur, écrivons un second livre, écrivons une saga, partons dans les profondeurs du Nord et soyons les complices d'un forfait social : le déversement à notre seul usage des scories de nos vies et de la joie qu'on retire à les relativiser.

Il n'y aura de dommages collatéraux que ceux que ma méprise créera, dans une fulgurance, lorsque je te raconterai ma vie et que tu me dévoileras la tienne. Ici se tiendra notre petite Laponie, nous y serons seuls, tous les mots seront permis bien que je choisirai les miens avec soin. Sois conquérante, harcèle-moi de ton être en-deçà, libère ton potentiel et révèle le mien. Si c'est les étoiles qui t'appellent montons dans notre vaisseau de papier, rejouons de la Terre à la Lune et embarquons notre poésie pour principal bagage. Déshabille ton âme, emmène-moi dans ses coins troubles, accepte mon intrusion et je te comblerai de mes échecs pour que tu les caresses avec la bienveillance qui sied aux gens de bien. Car je n'ai pas de doute là-dessus : tu es quelqu'un de bien. Rien ne peut m'écarter de l'idée que tu œuvreras pour notre postérité, nous préparant à dévoiler au monde que notre idylle est la seule qui vaille le coup. Parce que nous sommes un peu fous, libres de nous éloigner du centre, riches de notre désuétude et affamés de cet anachronisme. Mais j'extrapole, je t'idéalise, je me fais un modèle parfait de qui tu es. Dis-moi qui tu es !

Tu me fais languir. Sors de l'eau, chère inconnue ! Hante mes rêves ! Donne-moi du sel pour supporter l'hiver ! Nous ne chercherons pas la complétude, nous nous aimerons comme deux individus, indivis, différents mais se retrouvant dans nos textes. Nous découvrirons une autre terra incognita, celle de notre disharmonie festive. Car je ne veux pas que tu t'empêches d'être selon ton caractère, simplement que tu partages avec moi un concert improvisé, que notre prose tourne au bœuf et qu'elle dure. Oui, qu'elle soit dure ! Tranchante. Stimulante. Surréaliste. Irréaliste. Fais-moi tourner la tête ! Conjugue la vie, conjure ma vie ! Un continent nous attend sur lequel personne n'a jamais posé le pied. Nous irons l'arpenter pour exhauster des saveurs inédites qu'on ne découvre qu'en naviguant dans d'autres galaxies. Au mitan de toutes ces belles promesses nous nous trouverons chacun des griefs et nous saurons alors que le voyage ne sera pas que simple sérénité mais également combat et défi à la face des dieux, s'ils existent. J'entends une petite musique, elle m'entraîne vers toi, je m'autorise à la suivre dans ce marécage de pensées noires pour trouver ta piste. Parce que c'est toi qui chantes dessus.

Chère inconnue,

J'ai traversé le temps, comme ça, en dilettante, et j'attends toujours des nouvelles de toi. Lâche un truc, dis quelque chose, expose-toi ! Tu te caches ? Tu as peur de mon impudeur ? C'est pourtant d'ici, sur Facebook, que tu jailliras le plus promptement. Quelle misère, quelle catastrophe que voilà : nous sommes faits pour nous entendre. En tout cas nous en trouverons les moyens. Rien n'est perdu, l'horloge tourne mais la Parousie n'est pas encore là pour nous acculer à des places trop serrées pour celles et ceux qui ont encore quelques penchants pour l'obscurité. Et bien que je me confesse devant un auditoire (modéré), je suis plein de secrets que je ne veux faire advenir qu'à tes propres lumières. Mords là-dedans, montre-moi que tu as du chien ! Tu te demandes peut-être : à quel dessein ? Tout cela n'est-il pas malsain ? Quel tas d'ivraie pour un seul bon grain !

18 novembre 2020

Meetic

Dans les bas-fonds, nous nous éclairons de lumières artificielles. Nous glissons un mot pour rien à la Providence qui nous assigne au silence, sans nous faire renâcler à fournir aux images du passé un peu de gloriole en les atourant de notre mélancolie, et l'on dérive, happés par le vide et blessés par les parois trop dures du puits dans lequel nous ne faisons que chuter et rebondir jusqu'à l'écrasement terminal. Dans ce cosmos bizarre nous sentons quelques fleurs et d'autres images qui ont le secret de nous plaire. Nous voyageons, nous rencontrons, nous aimons sans raison, nous dérivons. Nous aimons ? Tels des lézards, nous nous brûlons sur les murs qui promettent le soleil et la paix. Nous voilà dans le supermarché de l'amour mais celles que nous choisissons esquivent notre estoc, qui par le mépris d'une absence de réponse, qui par une diatribe courtoise mais repoussante. D'autres enfin ferment toutes les portes, nous sommes devenus persona non grata. Il faudra de la force pour conquérir le mont Armorique, de la patience pour essuyer les échecs, un grain de folie pour croire qu'à ce jeu nous sommes promis un jour ou l'autre à réussir. Quel cours pratique avons-nous manqué pour être à ce point distrait ? Les visites s'enchaînent à nous faire exulter mais au-delà de l'écran il n'y a que la cruauté du choix de dames aux bras chargés des mots de tous ces hères qui peuvent les harceler, presque faire la queue dans des files d'attente. Aujourd'hui est le premier jour du reste de votre vie ? Raté. Demain il faudra recommencer. La frustration nous épuise mais un léger espoir stimule notre appétit. Lui aussi sera sans doute déçu. Or, nous nous accrochons, nous faisons une expérience comme on confectionne un attrape-rêves et nous continuons de voir le monde par la lucarne Google et Cie. Les yeux scotchés à l'écran, les possibilités défilent. Et nous-mêmes nous en discriminons, alertes de notre potentiel, finalement trompés par notre superbe...

Mais nous ne broyons pas du noir, notre vie est calme et distrayante. Des choses étonnantes ont pris réalité, nous sommes même allés chez le coiffeur. Les amis sont là, ils nous surveillent un peu et avec raison, parce que même si nous le surjouons notre enthousiasme est sincère. Bien sûr, il nous perd et nous chutons. Nous ne faisons que chuter. Nous nous relevons, nous prenons quelques photos d'un monde qui traverse l'apocalypse avec au loin, en Chine encore, la survenance de la peste bubonique qui en inquiète plus d'un. Nous n'emporterons même pas notre frénésie avec nous, il faudra la délayer dans le sillon bienséant que la ploutocratie ubiquitaire nous accorde avec la générosité mesquine d'un dieu qui s'amuse à nous faire payer sa fortune de notre inconséquente boulimie consommatrice. Riche idée. Riche tout court. Déjà, nous en voyons la fin, aucun extrait de notre piètre poésie n'atteint sa cible, nous sommes de pauvres quêteurs cherchant un refuge romantique passé de mode. Après tout, les romances ne sont-elles pas que des fictions qui ligotent l'univers, comme des parasites, pour le ramener à quelque chose qui n'a d'essentiel que le fantasme. Pourrissant mollement, désabusés, bien sûr déçus – parce qu'une foi absurde en la délivrance nous ceint. Étonnamment nous ne pleurons pas, nous acceptons notre sort, de toute façon celui d'un monde où plus personne ne se comprend. Voilà notre épreuve initiatique et au bout pointe la vérité : ces romances n'ont de succès qu'au cinéma et dans les emportements liquoreux des personnages de Marc Lévy.

Alors après, quoi ? La tentation de gourmander la Création dans son entier nous empêche de voir que notre esprit flotte, gouverné par les desiderata d'une kommandantur qui continue de primer le travail, la famille et sans doute la patrie. Nous pouvons bien les haïr, ces sbires assermentés par l'Eglise de la Main Invisible, mais nous ne pouvons rien contre eux. Leurs us ont pris corps jusque dans nos subconscients qui tentent de nous corriger, parfois en nous ramenant dans les salles de sport, la plupart du temps en nous culpabilisant de ne pas rentrer dans le canon qui nous ouvrirait les portes de celles qui nous plaisent tellement que nous arrivions à croire que nous pouvons vraiment les aimer en dehors de leur plastique publicitaire. Qu'aimons-nous sinon parader en agréable compagnie ? Photos à l'appui si indisponibilité... Les mal loties ont compris que malgré un physique difficile il était prudent d'être exigeantes sinon à se faire harceler par un homme en chien. Les plus belles histoires ressemblent à des amitiés et c'est tout ce que nous pouvons espérer. Or, sur Meetic pas même ! Nous nous sommes enflammés, la brûlure reste superficielle mais nous avons pris le parti de laisser tomber ce jeu de dupes, avec dans l'idée que nous avons (25 fois) tenté quelque chose.

18 novembre 2020

Felix Cité

Nous ne sommes rien, nous ne pouvons rien, nous rêvons de tout. C'est là notre maladie et elle sera bientôt au répertoire des affections courantes de la psychiatrie. Nous prendrons la pilule bleue, achetée séance tenante le jour où nous en aurons assez de nous balancer sur la corde qui lie notre potentiel puéril et surfait à nos aspirations sans cesse déçues. Elle viendra nous sauver, l'ange de l'irréalité, avec une flamme au bout des doigts pour nous soigner de notre inanité. Il faudrait se plier au diktat du marché, être attifé et costumé, ne plus suffoquer dans nos odeurs anisées et prendre, comme d'autres disent, le taureau par les cornes. Il faudrait ranger, arrêter de piailler, nous prendre en main, en finir avec nos gémissements attardés et aller un peu plus loin, là devant. Or, sans doute est-ce déjà trop tard, nous sommes catalogués attardés, inaptes et désespérés. Pourtant, une joie sans pareil nous fait vivre et nous voulons la sauver. Sauver la princesse aussi, trancher dans le vif, éviter la friend zone, simplement trouver les clés du château sans avoir à quémander. Qu'elle nous ouvre les portes de son monde, que nous riions ensemble sans nous offusquer des qu'en dira-t-on, que l'espace entier nous appartienne. Il faudra tout d'abord aller à sa rencontre, être patient, l'écouter et l'appuyer, lui trouver les meilleurs qualités et accepter ses infirmités.

Il en est une qui nous plaît mais nous ne savons la réciproque pour l'instant que dans la simple amitié. Elle est radieuse et souriante, elle a envie de vivre et de jouer et nous voulons l'adouber chevalier de notre société. Déjà. Alors que nous la connaissons à peine sinon par le sentiment que la paire s'est faite naturellement les deux fois que nous nous sommes côtoyés. Ce n'est pas un présage de réussite, juste une prémisse de celle-ci. Et c'est déjà beaucoup. Mais voyons notre panse proéminente, notre âge qui commence à avancer, nos cheveux ébouriffés, notre haleine caféinée, tous nos défauts les plus éhontés. Pour comprendre que notre stratégie est celle de l'échec, sans avoir à pavoiser. Nous essaierons de la mettre dans nos draps ? Si la sagacité nous sied, nous entrerons plutôt dans les siens. Bien sûr, là n'est pas la fin dernière, juste un plaisir glané sur l'autel de la félicité, laquelle pourrait comporter des plaisirs divers, parfois avariés, surannés bien que délicats. Voyager bras dessus bras dessous, aller voir ailleurs, visiter un musée, se promener dans la cité et imaginer que l'univers est offert à nos regards tournés même vers des horizons différents. Surtout, nous voulons la connaître, extraire de l'inconnu les détails de son humanité, la rencontrer dans son sommeil, l'apprivoiser, la contenter, lui rendre la vie d'un meilleur accès.

Nous ne savons pas si ses pensées sont déjà prises ailleurs, si un démon bienveillant lui fait la cour dans les règles sans lui donner de coups de règle. Nous ne savons pas grand chose sinon que notre équipée est comique et complice un peu déjà. Et ça nous rend heureux. De son côté, peut-elle souffrir du bonheur que nous voulons lui offrir si tant est que nous en soyons capables ? Est-elle disposée à faire sien un consentement à nos défauts les plus criants ? Ne prophétisons pas. Laissons dériver cette histoire pour voir où elle nous mène, laissons le vent nous porter, nous irons bien quelque part.

Oui, nous sommes bien allés quelque part, dans la précipitation peut-être, comme s'il y avait une urgence, et nous avons presque percutés le mur de nos défaillances. Combien de fois rater, combien de fois remettre notre ouvrage pour découvrir que nous n'intéressons pas celles qui nous intéressent... Ce devrait être une autre mais tout semble nous indiquer que les dés sont pipés, qu'un fatum morbide nous empoisonne le neurone affectif, ce qui nous fait nous couler sur notre siège, infâme, du certaine façon gros, vieux et moche. Qu'avons-nous pour nous sinon à peine cette littérature pour nous absoudre de notre ruine sentimentale ? Nous guettons, des miracles sont déjà arrivés. Et nous nous replions dans notre frustration, incapables de prier des dieux absents pour retrouver un espoir qui ne sera pas déçu par l'acharnement de la réalité à nous rabaisser. Muse, es-tu là ? Nous te convoquons dans un charme mais tu t'éclipses avec la célérité d'un chat. Nous nous sommes trompés d'existence, il nous faudrait rogner notre bedaine, soigner notre être traître, sortir des marges et devenir pompier. Pompier de l'espace, à la recherche d'un gramme d'extase, pour voir depuis au-delà les cieux. Écrasés au sol, si petits, si ridicules, dans notre terrier nous ne voyons que les étoiles. C'est notre marotte, notre péché gourmand qui nous pousse à la diète. Nous nous sommes trompés de rêve, nous fabulons, nous délirons encore un peu, imbus de nos fantasmes surfaits. Y a-t-il des choses qu'il ne faut pas dire ? Pourtant, nous balançons. Nous sommes le héros triste qui perd toutes les batailles mais pas la vie. Ainsi, nous traînons notre désarroi et notre indignité d'avance désignée.

Nous sommes ivres de sommets inatteignables, nous ne faisons qu'emprunter le sentier au pied de la montagne alors qu'il n'y a personne pour nous emmener plus haut, pas même un guide. Pas tant défaits que pas encore faits. Dans le vide de l'espace nous voudrions nous jeter dans une étoile, mourir d'une joie brûlante dans l'alcôve d'un récit renversant. Mais nous visons à côté, désemparés, inconsolables bien que pas encore déprimés. Notre sang palpite et nos rêves meurent, avortés par l'implacabilité de la nécessité. Les possibilités se noient dans l'improbabilité, nous sommes ceints de chiffres qui nous désavantagent et si la mort pouvait nous en délivrer nous ne serions plus là pour le remarquer. En attendant, nos désirs sont gâchés sur l'autel de la réalité, nous ne volons qu'en songes et l'échec nous corne le cœur. Il n'y a pas de belles échappées, non, il n'y a que la réalité. Seulement, où sonder ? Encore une fois, répétons-le, nous n'avons rien appris. Il nous reste la liberté, un boulevard où se promener sans l'opprobre du chaland amusé. Nous avons été éliminés, abasourdis de notre incapacité, fier de notre marginalité. Nous ne l'avons pas exposée, nous avons juste suggéré son existence dans l'ombre de notre pensée cryptée et si facile à déceler. C'est un échec.

Nous aimerions être revenu de tout mais nous sommes têtus, incapables de sonner l'alarme quant à notre incapacité. Pourtant, nous l'éructons, nous la délayons en mots le long de lettres-fleuves qui n'en finissent pas de nous diminuer. L'écume nous redonne le tonus de croire qu'on pourrait, si les dieux (absents) nous le permettaient, réussir au moins une fois à respirer les effluves d'une romance au moins sympathique. Évidemment, nous n'avons pas une vie trépidante, nous ne faisons que naviguer du fauteuil au frigo en allant prendre un verre au bar de temps en temps pour sublimer la sensation d'avoir une vie sociale (nous en avons quand même une). Mais nous avons le vocabulaire pour l'exprimer, même de façon parcellaire. Qu'en dirait Proust ne nous intéresse pas, nous voulons mourir en ligne, déshabitués de la manie de rêver. Le monde nous crie dessus qu'il n'y a pas d'arnaque, que nous sommes simplement les à-côté de la modernité, avec la chance de ne plus en être les repoussoir. Ainsi, nous nageons en société au milieu des requins en croyant que nous en sommes les géniaux dauphins. Quelle méprise ! De râteaux en tornades, nous imaginons une échappatoire, un moment de grâce, la découverte d'une porte de sortie dans ce dédale formaté. Encore une méprise, nous crèverons dans le couloir B. Des ailes ne nous suffiraient pas, sauf si elles étaient belles. Alors nous pompons de l'énergie au creux de chaque petit plaisir, doctes avec la dopamine, stricts avec la sérotonine, débarrassés des sensations trop fortes (encore que pas toujours) et nous punissant de coups de fouet symboliques.

Malgré tout, nous aimons la vie, d'autres réussites le prouvent. Abreuvés de médecine, nous avons perdu le fil de la normalité. Nous essayons d'en suivre les coutumes avec un succès honorable mais, cachés, nous filons du coton de mauvaise qualité. Cela pourrait changer, notre caractère n'est déjà plus aussi trempé et vindicatif contre le reste du monde qu'autrefois. Ici, nous ne voulons pas afficher notre misanthropie. Ou si peut-être un peu, bien que nous restions sociables et pondérés. 40 ans d'expérience de la vie nous ont rendu à la fois cynique ici et de bonne compagnie autrement. Certains l'ont compris, d'autres ne l'ont pas encore appris, nous sommes des idéalistes baignés de l'implacabilité des réalistes. Quant à la femme de nos envies, débridées comme polies, nous en flairons l'existence mais chaque fois nous sortons du cadre de ses préférences. Et bien soit, parlons encore de nous, c'est un leitmotiv. Faut-il explorer d'autres galaxies ? Se faire rembarrer cinq fois par jour sur Meetic avant d'enfin trouver le vrai déclic ? Le monde est cruel et sans doute le sommes-nous aussi. Du coup, il y a peu à dire... Pourtant, nous en faisons tout un livre. Tragédie !

18 novembre 2020

Désir déliré

Je suis un incurable fabulateur de mon avenir. Je me disperse, incapable de maintenir quelque concentration sur un même thème plus de quelques pages sinon lorsque je me mets à avoir des propensions à délirer lourdement, d'autres diront à fantasmer, sur ce qui pourrait advenir d'une relation encore correcte sous tous rapports avec une personne de l'autre sexe. Me voilà parti dans des circonvolutions sans fin sur ce que j'en attends, prudent tout de même, et des hérésies conjugales que d'autres peuvent se permettre sans les disqualifier. Il reste un travail de deuil à accomplir, je vois bien que rien n'y fera. Je ne suis même pas sûr d'être amoureux, je rêve. D'une rencontre de plus, de tout un monde de possibles, d'une créature aimable et consentante avec laquelle nous pourrions écrire à quatre mains des livres entiers rien qu'à nous parler. Il ne s'agit même pas de folies sexuelles, les médicaments ont réussi à me couper la chique. A moins que... délire d'amour ne se résume-t-il pas souvent qu'à prétentions charnelles ? Je me livre à vous avec ce cri du cœur : je suis pathologiquement en quête d'affection dans l'arrière-boutique de mon esprit – lequel se libère dans l'écriture. J'aimerais en faire la thèse mais je n'en produirai que le brouillon. Il semble assez clair que les problèmes romantiques occupent la place la plus importante dans la culture de masse. Partout, dans les livres, dans les films, dans les chansons, dans les publicités, dans les magazines de salles d'attente, le Graal est toujours le même. Il faut opérer la fusion des corps. Elle y mettra autant de vernis qu'elle voudra, la culture me rappellera toujours à l'ordre. C'est une conspiration pour faire de la nature la part secrète de mes aspirations. Mais j'attends plus, ambitieux et risible depuis le fauteuil calé devant mon ordinateur. Ambitieux parce que je ne suis pas à la hauteur du défi, risible parce que je sonne faux. Ce que je veux est hors-de-portée et ce soir je me résigne à la passivité puisque rien vraiment n'y fait (ne l'ai-je pas déjà dit ?). Arrêter de courir bêtement après quelque chose dont personne ne veut sera sans doute la décision la plus raisonnable et la plus responsable de ma vie. Amie autant qu'amante, je n'ai même plus le moral pour qu'une d'entre elles le devienne. Je ne comprends pas mes contemporaines, la plupart en tout cas. Et après je craque, terminant parfois ma journée dans le bureau d'un psychiatre qui comprend bien que j'ai besoin de cachets bleus, roses et blancs pour apaiser mon trouble naissant. Il y en eut une à qui j'ai pu écrire un cahier entier de mes pérégrinations romantico-psychotiques et cela s'est conclu par un séjour de quatre mois à l'hôpital. Et je suis toujours sur la brèche pour recommencer dans ce genre d'obsessions. Je ne sais que rêver...

Excédé par mon propre appétit, il ne me reste que la littérature et le déni pour passer outre mes désirs. Il paraît que je suis trop prévisible. Faut-il ajouter une part de mystère à ces rapprochements ? Ne rien demander pour tout avoir. Reste que j'y mets de la joie, un ami parmi vous l'a bien noté, et de l'enthousiasme. Je me livre même, heureux de pouvoir partager ma spécificité. Qui ne la connaît pas désormais ? Ça ne m'effraie pas, je suis assez bien avec ma psychose pour la partager avec qui veut bien en recevoir le discours. Qu'est-ce que je fais dans la vie ? Je convale... La volonté que j'ai pu mettre par moments à trouver du travail n'avait qu'un sens, celui de mériter mon désir. Mais c'était un cul-de-sac. L'angoisse et le reste me ceignent chaque fois que j'essaye. J'ai abandonné cette folie destructrice (pour l'instant) pour une vie tranquille qui n'intéresse que moi. Je lis, j'écris, parfois j'écoute une émission de radio ou je joue. Je meuble. Je me disperse. Il n'y a rien de plus effroyable que cet échec. Rien ? Dans le genre ridicule sans doute. Je fais ma route assis bien que j'aie commencé à replonger dans les arts martiaux. Parce que c'est la guerre ici-bas et que la géopolitique est mon jeu vidéo le plus stimulant, presque déshumanisant tellement j'excave des horreurs de l'Histoire. Soyons honnêtes, ce que je veux c'est ma Simone de Beauvoir, amour nécessaire qui ne se formalise pas des amours contingents. C'est la vieillesse qui se profile dans ce désir de jeunesse. Je n'ai peut-être pas franchi toutes les étapes pour être admis parmi vous, gens de bien souvent, et je continue de dégringoler les marches chaque fois que j'essaye d'en avaler deux ou trois. Etre de bonne humeur ne suffit pas à l'éclosion de mes bluettes débiles, il manque quelque chose. Comme je n'arrive pas à la trouver, je me convaincs qu'il faudrait que j'en abandonne la quête. Personne ne s'en offusquerait sinon la Providence, qui me regarde d'un œil malade en train de déballer mon sac. Je ne sais que rêver...

Un hère quelconque aura pu dire qu'il faut la jouer fine. Il voulait dire ruser pour aller droit au but et découvrir l'autre seulement si affinités. Un travail de dupes devant lequel je fais le contraire. J'ai envie de découvrir vos vies, savoir ce qui se cache derrière mes désirs sans importance et ce sont ces désirs qui parasitent mes envies de savoir plutôt que d'avoir. Non, vous n'êtes pas que des corps. Mais vous l'êtes aussi, voilà l'essence du drame. Il n'est pas question pour moi de me réfugier dans un quelconque puritanisme, je veux vous aimer en entier, partager les mots qui expriment ce qui se passe en vous de manière épique, que la discussion ne connaisse que des pauses et point de terme. Le contrat n'est pas encore conclu, je n'aspire pas à vous effrayer de vies communes. Je me demande juste ce que vous voulez et, si vous voulez la même chose que je voudrais, comprendre à quel moment j'ai raté un truc. Craignez-vous que je viole votre jardin intime par quelque maladresse ? Mes lubies paraissent louches ? Je ne suis qu'un intermittent du délire pourtant. Je ne cherche pas à répandre vos vies sur Facebook, je n'y mets que la mienne. En soi, c'est déjà un acte fort, bien que je ne sois pas le premier. Je glisse une ouverture pour des espoirs même platoniques et je m'en tire avec le silence comme revenu. De toute façon, est-ce bien raisonnable de me répondre ? Après débat, j'imagine que celle qui acceptera cette fragilité monté en obsession, ce déluge auto-analytique, sera celle qui conviendra le mieux. Et à savoir si elle existe on tombe peut-être dans une impasse. Peut-être ! N'est-ce pas un adage courant que de dire que tout est possible ? Je me fonds dans mon délire platonique, heureux de ne pas avoir à vivre les aléas de la vie de famille, laquelle aurait de grandes chances de me perturber outre-mesure, ni ceux de la vie de couple, dont les heurts peuvent être d'une intensité plus grande que ceux de la simple solitude. Quoique je puisse en dire, il reste des boulevards de liberté sur lesquels on trouve de la place aussi pour l'autre. L'autre, ce désir délirant qui se fait l'écho d'un désir déliré. Finalement, ce que je cherche n'est pas plus qu'une intimité, bien que ce soit un rapport privilégié, pour vivre corps et esprit et trouver une oasis où m'épancher. Or, qui suis-je pour demander autant ? Simplement le mandataire d'une même promesse. S'il est encore temps de faire des promesses dans un monde sans cesse en mouvement... Mon ordinateur, blindé de logiciels à tout à faire, est la porte magique vers une jungle de potentialités et je me répands sur la toile, je me lâche sur Facebook, en croyant que cela servira à quelque chose. Et alors ? Les mots sont posés. Je ne sais que rêver...

Et maintenant, qu'en est-il de mon devenir ? Je rabâche à propos de mes sentiments ambivalents sur la gent féminine et je ne trouve pas la piste pour sortir de ce commun cauchemar – oui ou non ? Le plus étrange, c'est le décalage entre l'homme écrivant et l'homme vivant. Évidemment que ces thématiques ressurgissent dans la vie réelle, mais je ne m'en retrouve pas plus malheureux pour autant. Je fais mon autoportrait, par le biais de mes démons, et cela donne quelque chose de tragique qui va à contre-sens de mon plaisir d'exister malgré tout. Les femmes de ma vie, je les aime toutes, les anciennes et les nouvelles. Tout ce qu'elles m'ont donné m'est un onguent pour la confiance que je mets en moi et que je sacrifie à un passé que je veux dépasser pour en faire un modèle de désillusion. Et laisser place nette aux hallucinations ? Peut-être bien... Je clame trop, je ne pratique pas assez, tout est spéculation. Embourbé jusqu'aux dernières synapses de ma raison, il ne reste plus qu'à bêler idiotement en cherchant un moyen de trouver la Concorde. Je ne vaux en cela pas plus qu'un autre, je suis accroché aux mêmes lubies que mon prochain dans cette société qui ne veut connaître que le plaisir et pas le bonheur. Être scopique, je cherche une dame du regard en attendant de la trouver en esprit, c'est un trait banal, et souvent je rencontre cet esprit avant la chair, faisant d'un monde hédonique un monde platonique. Grand bien que voilà, pourtant personne n'y croira. Allons, jeune mâle pulsionnel, tu veux goûter aux plaisirs sacrés. Mais quels sont-ils réellement ? Il y a disproportion à juger que l'amitié homme-femme ne puisse être actée, il y a également trop d'entre nous à penser que celle qui existe dans les faits ne puisse pas trouver les voies du plaisir des corps enlacés. Alors je fais d'un monde compliqué un monde abusé. D'où vient cette aliénation de la pensée qu'il faille choisir entre l'amour et l'amitié ? L'amour étant un vaste champ de défaite par la possession, il me semblait pertinent de le contrebalancer d'un sentiment d'amitié qui en fait un univers de complicité beaucoup plus intéressant. Mais pour l'instant, je m'installe dans la crasse, je fais vivre une idée pathogène non-virale qui ne concerne que mon propre désir délirant. Parfois je fuis devant la tâche, je bloque à mi-parcours de la récompense, je détruis mon désir en le sublimant par la littérature. Et après ? Qu'adviendra-t-il de l'homme aimant ? Il s'effacera sans doute devant l'homme pensant, toujours prêt à consentir à une nouvelle valse psychique. Je ne sais que rêver...

Sur les routes de l'information, je ne rencontre le sérieux amoureux que dans les marges, bien caché parmi les brèves de la géopolitique qui gouverne la raison de nos gouvernements chatouilleux et pragmatique. Le sérieux amoureux, emblème fantasmatique de la conjonction du désir animal et cet l'éther culturel qui se partage à deux, à cinq, à mille, ne trouve pas sa place dans ma vie (peut-être dans celle d'un autre), non point parce que je la refuse – bien au contraire –, mais parce que je n'arrive tout bonnement pas à en trouver la trace autour de moi. Il y a des ambiguïtés, des équivoques que je m'invente pour faire passer la pilule en en faisant la trame de mes écrits pas si fous. Et je ne trouve que cet onanisme scripturaire pour faire l'équilibre entre mon désir délirant et la simple réalité que je n'arrive plus à masquer de mes joies anticipatrices qui s'effondrent au premier coup de vent. D'ailleurs, il est tentant de croire qu'il n'y a d'ambiguïté que de mon côté, docile servant d'une kommandantur romanesque périmée, et que la messe soit dite de l'autre. J'enquille vaillamment les impossibilités jusqu'au craquement de l'allumette qui fera sauter cet édifice plein de poudre qu'est mon cerveau malade. On l'a déjà vu, je suis optimisé pour partir en vrille lorsque les vents deviennent un peu fort et me réveiller, après deux semaines d'hospitalisation, dans un état propice à déblatérer sans fin sur mes sentiments les plus vains. Je me mets alors à lire de façon compulsive pendant deux jours, pour trouver le ton idéal sur lequel plaquer mes diatribes. Cela reste toujours insuffisant, je suis malade d'amour. Il faut le héler, en général sur le fil d'actualité publique de ma page Facebook, pour rendre cette maladie consistante en la partageant. Bien sûr, cela ne m'empêche finalement pas d'être dans le trouble mais guérit quelques heures qui étaient destinées à la sinistrose autrement. C'est le média de prédilection de ma rébellion en carton. Souffrirai-je qu'on me lise ? Hé ! Peut-être bien. Dissident de la réalité, je m'empoigne avec mes illusions pour voir quel son elles font. J'ai envie d'aimer, mais j'ai encore plus envie de l'écrire, tracer sur mon écran les germes de ma méprise. Pour enfin trouver celle qui se plaira à soigner mes plaies et qui s'amusera de mes tentatives de faire cicatriser les siennes. Le plus grand heur est quelque part loin de moi, d'ici on ne voit que ce destin de fatalité, même s'il est sans doute exagéré. Prendre la vie à pleines mains ? Encore un conseil de charlatan, il n'y a que le fatum, la nécessité et la morosité. Je suis mal fait, je ne sais que rêver...

Comment rendre compte de mon écartèlement sinon en le magnifiant dans la douleur de vivre qui semble suinter de mes textes ? En imaginant que, finalement, je suis assez souple avec les formes que prend la vie telle qu'elle est en réalité. Il est possible que ce soit de la comédie, bien que je joue ce rôle avec sincérité.

18 novembre 2020

Incantations délirantes

Princess Chelsea c'est pop, c'est sucré, c'est enfantin, c'est décalé tout en assurant de bonnes thématiques. Non, je n'ai pas grand chose à lui redire. Je lui enverrais bien des fleurs si elle laissait son adresse quelque part, même sous l'océan des pages référencées, à un endroit que je pourrais découvrir dans une synchronicité cosmique du genre que j'affectionne. C'était elle, c'était moi. Et puis Come as you are, elle avait osé, c'était une vraie invitation pour ma pomme, devant audience large. Yes, baby, yes. Un mot de plus et j'arrive. Le Nirvana. Logique. J'essaierai de suivre sa trace à Copenhague pour les anges savent quelle raison, détricotant le fil qui tisse le réseau mondial pour trouver sa porte et l'emmener sur mon chariot de feu dans un vaste concert d'acclamations béates. J'écrirai, elle chantera, Pierre Paul ou Jacques s'occupera de bercer le tout d'une mélodie spatiale. Oh Samaël, fais danser les Hommes ! Guide ma plume vers un dénouement heureux pour nous. Sa voix de poupée m'obsède, elle a dû rencontrer quelque dieu sorti de son sommeil pour l'aider à chanter ces balades naïves dont il me sied d'abuser. Chelsea, montre-toi ! Sors de l'écran, éclabousse ma vie de musiques enivrantes et fais tomber une pluie dorée de notes au goût de mangues juste assez mûres pour que ce soit un festin.

Enfoncé dans mon canapé, télécommande posée distraitement sur la table basse, je laisse tourner YouTube. Des clips se succèdent et j'en retiens quelques mots, ceux qui sont essentiels, ceux que les anges permettent à mon entendement de capter. Heaven is a place on Earth with you. Évidemment... what else ? Lana, je pourrais t'élire reine du bal, toi la poupée en plastique qui ne connaît que les heurts et les décisions les mêmes qui mènent aux conclusions les mêmes. L'éternel retour est ta défonce préférée je crois. Mais toi aussi j'aime t'écouter piailler. Derrière toi : encore toi. Mais tout en absence, tout en discrétion, juste l'apparat pour les soirées mondaines de la musique moderne. Tu n'échappes pas aux récompenses, c'est ton plaisir coupable, péché grossier mais fatalité du business. Continue de briller, pendant ce temps je règle ma composition atomique pour trouver la monade qui me fait être de conscience. Mais ne viens pas perturber ma rhapsodie bohème ! Je te vois venir avec tes velléités de noircir le tableau, tu ne me feras pas oublier ma Princess Chelsea et je n'ai pas assez de haine pour te plaire. Je pourrais t'écrire un mot, le lâcher à mes trois followers, le laisser fermenter et pourrir l'univers d'une nouvelle bluette.

N'est-ce pas déjà trop ? Que me faut-il ? Une piqûre de rappel ? La mort dans l'âme, je m'adresse à vous. Pour voir. Pour m'écouter parler, me distraire, composer des odes vulgaires à la partie féminine de l'humanité sans me départir de mon verre à moitié vide, me bercer d'illusions amères sans autre objectif que tergiverser et imaginer des rapprochements charnels sophistiqués qui riment sans queue ni tête. Il existe une littérature pour ça, ai-je besoin de vous en rebattre les oreilles ? Emmanuelle me tend les bras, ils sont chargés de désir. Je préfère chanter et la refuse sans politesse. Raël ne comprend pas... J'entends un autre ange, il récite des cantiques pleins de saveur bien que horriblement niais. C'est mon ange, celui qui gît au-dessous, le chantre de mes pulsions refoulées, un moi obscur et peu disposé à la conversation. Pour tout dire, je ne l'entends pas vraiment, c'est juste mon esprit qui compute les possibles idées qui vont, par un canal secret, du silence à la révélation subconsciente. Et ce benêt, dois-je me répéter, me veut biblique. Ça a un côté drôle mais je vous assure que c'est très sérieux. Il ne veut rien lâcher, il m'empoisonne l'existence alors que je veux simplement écouter Emel Mathlouthi. Que veux-tu donc ? Le septième ciel m'appelle et tu exiges de moi le neuvième. Séraphin à la con...

J'aime bien l'idée de ne pas vous entendre, j'essaye d'imaginer vos réactions, votre appétit pour mes tracasseries célestes. Je sais que vous en réclamez, après tout je suis peut-être votre Dieu, un peu dans la veine Evhémèrienne il ne restera de moi que la légende et le culte disproportionné. Un autre ange – il parle, lui – vient me déranger dans ma bulle alors qu'Emmanuelle renonce à ses fantasmes et s'éteint, la tête posée sur mes genoux disgracieux. Faîtes monter la sauce, préparez-moi une fête, un holocauste, une boucherie insecticide au goût de cerise. Et toi, le séraph, vaque à autre chose, ignore-moi, sauve des vies qui le méritent, hante des tortionnaires, fais tomber des dictateurs, ou à la limite œuvre à la renaissance d'une presse blasphématoire. Oh oui ! Blasphème ! Le Dieu absent le mérite bien, même s'il n'y a que ses ouailles que ça offusquera.

La playlist défile, c'est le tour de Oresund Space Collective, the groupe parmi les groupes, d'ailleurs rencontré à Copenhague dans un concours de circonstances dont l'auteur de l'expérience serait taxé d'apocryphe sans trop de discussion. Alors que je me baladais, tout à fait gentiment, dans les allées, tantôt verdoyantes, tantôt architecturées dans l'esprit militaire, du quartier de Christiania, je suis tombé sur une affiche qui, outre des mots en danois auxquels je ne bitais rien, annonçait un festival gratuit le lendemain. Un appel du pied d'une Providence mystérieuse que seuls les danois comprennent et dont j'étais l'heureux héritier en pratique. Le lendemain, donc, je suis revenu. Je me suis acheté de quoi rouler un joint au comptoir de la Green Zone, le plus fort hasch qu'ils avaient, et je suis arrivé en cours de concert, émerveillé par les slides et les solos interminables du cru qu'il me sied bien de profiter dans mon coin, chez moi, avec mes anges et une Emmanuelle débridée qui réclame son dû. Jusque là, aucune idée de qui joue devant mes yeux. Un sbire à la langue pendante m'a alors alpagué. Il voulait me vendre toutes sortes de drogues, des plus insipides aux plus chères, qui ne le sont pas forcément moins. Je l'ai suivi une maison plus loin, dans une sorte de garage où trônait un Bouddha qu'il s'est mis à lécher ostensiblement. Les anges étaient restés au chaud, il n'y avait que le peu de raison en ma possession pour me pousser à danser. Oh Samaël ! Ça ne lui a pas plus, j'ai haussé les épaules et ai voulu retourner voir les guitares insensées qui rejouaient l'espace infini. Après avoir plané une bonne trentaine de minutes, debout, à faire une baston de regards avec un hère efficace à ce petit jeu, j'ai souri et hoché de la tête. Il a répondu de la même façon. Puis je suis allé voir l'assistante qui vendait des CD. Quoi ? C'est Oresund Space Collective ? Autant dire que j'étais aussi jouasse que si c'était Mystical Sun. Le voyage ne débute ni ne s'achève sur cet autre synchronisme mais là...

… Fiona Apple aiguise mon appétit pour les ambiguïtés de l'amour qui exige, qui réifie tout en laissant sa place au sujet, qui se cherche sans jamais se trouver. Écueils et méprises, amour-passion et déception de soi-même, une flamme obscure rend visibles les objets de la discorde psychologique et détruit toute possibilité de trouver un chemin praticable. Le tout enrobé dans une rythmique jazzy qui trouve (tout de même), à peu près, les formes tragiques d'une liberté nécessaire. Elle chante, j'écoute. Et ensemble nous parcourons une réalité qui sied aux gens à la plastique aguichante et aux désirs compliqués. And it's a sad sad world, When a girl will break a boy, Just because she can. Je crois que j'ai nettement plus d'affection pour Emel Mathlouthi, ce qu'Emmanuelle ne sait que trop bien. Kelmti Horra, My word is free, Ma parole est libre. Ce qui n'est pas une évidence. Mais je me laisse emporter, je rentre dans sa tête et j'en extirpe le chant coupable d'une égérie qui tombera assez vite dans les excès de la drogue en rejouant son propre Parsifal.

18 novembre 2020

Esthétique de l'ennui

Fatigué de courir après les mots, j'en écris quand même quelques-uns. Il n'y a guère mieux à faire, est là l'essence de ma fonction productive, je produis des mots. Des agencements à tout le moins, émaillés de fulgurances et de repentances qui n'ont utilité qu'à être lues sans passion par le tout-venant, la masse réduite à sa plus simple expression, les gens qui passent par hasard. Il y a une dénigration de soi, un jeu mortifère de la flagellation de soi, une folie de la mise en scène de son incapacité à éveiller qui que ce soit. Je déconstruis pour reconstruire, j'instruis un procès pour la postérité, je me love dans ce carnage en quête d'un plébiscite et je n'y trouve que la désolation. On ne lit plus, on écrit. Tout ceci est d'un commun... Je voudrais comprendre : qu'est-ce qui me pousse à écrire ? Le résultat est chaotique, je me repais du désordre et me convaincs que tout ceci est vain. Au détour de la prose, des idées jailliront à toute vitesse et se noieront dans la masse de ce tourbillon. Je tourne en rond dans une mer plasmatique dépourvue de fond et je m'y enfonce. Mes cris sont étouffés par la pression des eaux amniotiques desquels je n'ai pas su m'échapper. Je ne grandirai jamais, je serai pour toujours le bouffon d'une farce d'existence qui s’accommode d'abord de rester sur place et d'avancer, ensuite, par bonds furtifs. Mes desseins son malsains, mes conquêtes sont devenues une fête, je jouis de dire oui à l'ennui. Et rien n'avance sinon l'entropie de mon corps lourd. A la fin de la représentation la mort et la place libérée pour un autre souffrant. Mon martyr est pourtant de n'avoir rien du martyr. Il n'y a de heurt que ceux que je m'impose de façon masochiste, emporté dans la dénonciation de ma piètre existence, nettement plus heureuse que ce qui est légitime. Quelqu'un veut-il me libérer de cette fange ? Me conduire vers la définitive acceptation de mon sort des plus confortables ? Je pleure des larmes de crocodile, je me plains du rien, je me plains de ne pas assez souffrir, je me plains de ne pas trouver de sens à tout ça. C'est un jeu sans gagnant que de libérer mon fiel, de dégouliner de mièvrerie adolescente, de croire que tout est perdu alors que tout est gagné. Il y faut néanmoins bien un sens, plus qu'une direction, une signification à cet agitation. Je suis le signifiant sans signifié, en puissance pour un acte vide. Il n'y a que le vide. De quoi remplir les neurorécepteurs ? Je suis une machine qui se gave de neurotransmissions et après c'est la chute. Je deviens morose, je me mets à haïr ma condition sans véritable raison, je démissionne de la raison. Je suis le signifiant mais ça ne signifie rien, il n'y a que le vide des passions sans dénouement. Je ne suis pas triste, je suis juste en colère contre moi-même, incapable de trouver une destination à ma prose. Qui veut lire ça ? Qui écrit tout ça et pourquoi ? Il n'y a pas de raison, il n'y que la chute dans le vide ; je me lance, je traverse l'espace en tombant mais je ne m'écrase pas. Rien n'est achevé et chaque jour je recommence. Voilà un délit de la pensée, une disharmonie manifeste avec la bienséance d'écrire pour les autres, je n'écris qu'au vide. Pour rien. Il n'y a que le vide.

Fatigué de courir après les mots, j'en pose quelques-un de trop. C'est sans conséquence et on peut s'en amuser. Quel trublion instable ! Je me prête au jeu du je et nous n'en sortirons pas grandi. Je vous le redis : je ne grandirai jamais. Grand bien que ma prose ne serve à rien. Elle n'a pas de valeur marchande, elle est là pour rien, elle existe sans l'aval de la critique, elle s'épanouit dans le vide, je me destine au vide. Qui lira ces mots ? Qui en fera quelque chose ? Faut-il vraiment en faire quelque chose ? Le rêve d'être écrivain est une hallucination et cette hallucination est tenace, elle offre un aperçu, une première destination, enfin. Mais elle est trouble, elle gigote devant moi, instable, impossible à juguler et impossible à atteindre. J'écris quand même, pour le style dirons-nous, à défaut d'autre chose. Et je me débats dans la fange que j'ai installé de mon propre chef, sans la directive de quelque kommandantur, je suis libre de nager dans ma crasse littéraire, sans port, tout compte fait sans destination, avec cette plainte sans fondement, la plainte du nanti qui s'ennuie de tout. L'accumulation des possibles a rendu le réel impossible, je barbote dans le néant et rien n'en sort. Il n'y a que le vide. Cette vie est une farce, la réplique sans teint et j'ai le teint d'un replicant. Trop de tout tue le tout, je me balance au-dessus du vide, je vais sans doute sauter. Puis recommencer, ouvrir une page blanche, la souiller de mes désirs éteints, courir après des mots dans une désescalade de la prudence littéraire. Je vais tout vous dire, ce n'est pas grand chose, peut-être même rien. Il n'en sortira rien, le propos est creux, dans le fond il n'y a que du vide. Bon, c'est déjà ça. Il y a une mise en forme, une folie latente, une volonté de décrire la lubie d'écrire, même rien, à tout le moins rien de passionnant. Je ne suis pas passionnant, je ne suis pas un auteur, je suis un acteur qui joue sa propre gloire déjà fanée, usurpée, forfaite, sans l'élégante humilité de celui qui pas même ne jouera de la sienne. Écrire relève de ma pulsion de mort, il faut que j'expulse ma haine contre tout et que je le fasse pour rien. Exercice simple, déballage comme un brainstorming, idéal révolutionnaire de n'avoir aucune raison d'écrire et d'écrire sans la vindicte d'un peuple grognant qu'il veut une enquête, au moins un mort et un assassin sous les verrous. Je vous fais bouffer du vide, du tiède, du sans sel et tout à la fois une ritournelle éternelle. Vide. Vide. Vide. Personne n'en fera rien, personne n'osera le plagiat parce qu'il n'y a rien à en faire. Vide.

Fatigué de courir après les mots, je me fais violence pour en rajouter. C'est mon destin, celui de n'être rien et de le hurler abondamment, dans une litanie verbeuse sans assise. Ce texte ne véhicule que du vide, il n'a pas de passager, aucune méthode pour rien ni guère de prétention à être plus-que-rien. Et en même temps on pourra y déceler un message, parce que le médium est le message. Je transpire de vide mais c'est mon corps qui le produit. Je suis un corps plein affublé d'un corps astral vide. Je n'ai aucune idée de ce que je peux apporter de concret à la littérature, sans doute ne lui apporterai-je rien. Rien de valable sinon une belle coquille vide qui produit des perles une fois l'an, aux alentours de Noël, alors que les rayons sont pleins et que je cherche en moi les ressources pour produire ma saillie. En attendant, je fermente pour rien et je pourris de ce vide aqueux dans lequel je me débats pour détruire l'armure incapacitante qui cache ma nudité. Je ne m'offre pas, je me survole, je me plains du vide quand d'autres se plaignent de la guerre et de la famine. Je suis un nanti et je n'ai que le vide pour compagnon ce soir. Il s'en passe des choses dans le vide, ce n'est pas rien. Pourtant, c'est désespérant ces pauvres riches qui accumulent l'ennui de ne plus savoir par quel bout prendre le goût de vivre. Il y a des fluctuations dans le vide, des désordres sensoriels, sensibles, sensuels. Comme s'il y avait quelque chose, énigmatique mais vivant, au-delà de la physique et douloureux pour le moral. A moins que ce ne soit qu'une privation sérotoninergique, une descente de MD – je ne prends plus de MD – ou une espèce de bad trip cannabinoïde. Dans le vide, l'angoisse monte et rien n'y fait sinon le Loxapac et le sommeil. Il n'y a que de la matière, nous nageons dans une piscine atomique et notre malaise trouvera résolution dans le monde qui se profile : le meilleur des mondes. Avec pour seul médicament l'argent. I want money, power, glory. Quand je me sens mal, je vais retirer cent balles. Qui vont s'évaporer en emplettes inutiles, parce que le mieux est dans le futile. Et dans mon apathie spectrale, je serai toujours au-dessus du vide. Le trouble moderne c'est de se perdre dans le spectacle, faire péter le cerveau de transmissions neurales et recommencer avant que ça ne redescende. C'est la décharge mentale, le secret du pourrissement de toute sophia : la perdition dans le divertissement. Et je nage dans le divertissement, j'en ai trop à disposition, je ne sais plus qu'en faire. Rien. Me laisser aller au vide et l'écrire.

C'est tellement facile les mots. Il n'est pas évident que vous les interprétiez toujours comme je voudrais, moi-même je ne suis pas toujours très raccord entre ce que je pense et ce que j'écris. Des mots s'ajoutent, des mots s'enlèvent, des mots résistent à la tempête bien que ça ne prouve rien. Il en faut toujours plus, je les collectionne, je les dispose dans tous les sens. Parce qu'ils sont souples. C'est un solo à la Samsara Blues Experiment qui dure des plombes que je fais, presque une impro à la Oresund Space Collective, parfois une vague pop à la Orange Alabaster Mushroom ou une complainte à la Windhand, une ritournelle à la Trentemoller que sais-je. The grammar is the limit. Et encore, pas toujours. On peut lui fouler le bras à la grammaire, on peut lui péter un genou du moment que c'est frappant. Bon, je frappe toujours dans le vide. Mais ce n'est rien me dit-on. Encore un divertissement. Peut-être une lubie, une incartade, un délire, une aventure lexicale. Tout est là, j'ai des aventures avec les mots, avec leurs sons, avec leurs sens, et je me suis essayé à toutes les positions avec les COD et les COI. Tout ça pour quoi ? Pour rien ? Ma foi... On les lira ici et là, dans la friend zone, dans la famille, par erreur aussi, par goût du risque. Je pourrais rédiger un pamphlet à mon encontre mais il ne serait pas assez violent pour rendre justice à ma vanité. Je cherche à me détruire par les mots, à exercer ma vengeance contre ma platitude, à produire une œuvre de mutilation de ma personne. Et ça vient doucement, ça se plaque, ça explose, mais ça ne laisse aucune cicatrice. Je suis insensible à ma douleur, dont j'essaye de me repaître de façon maladive. On le sait que je suis malade. Ça n'a d'ailleurs jamais été un très grand secret. Et ma grande joie est d'être graphomane. Oh ! Je ne suis pas aussi inspiré que les Grands, je ne suis pas aussi mélodieux, je ne suis pas aussi original, simplement j'emmène mes mots au combat et là tout de suite ils ne produisent que le vide. Rien. Je n'envie pas les Proust et le Joyce, mais j'ai une dent contre les Musso et les Werber, mon monde bouge au travers d'eux, de leur répartie et de leur talent, qu'il soit réel ou pas. Je prends la fuite, je m'expose plein de fard et je ne dis rien de plus qu'eux. Il n'y a rien de plus à dire que tout ce qui a déjà été dit mais on peut le faire quand même et je m'y applique, toujours pour juguler l'hallucination, la soumettre à mon désir factice, croire que tout cela peut se voir conférer une quelconque valeur. Frappez-moi, je saurai que j'existe. Il n'y a rien de pire que le vide... chez les nantis comme moi. C'est le point faible de l'homme moderne : sa décontenance devant l'orgie. Vais-je regarder un film (Netflix m'en propose des centaines), faire un jeu vidéo (j'en ai plus de 500), lire un livre (il m'en reste 50 à compulser), sortir ? Je reste chez moi et j'écris. Pour participer à l'industrie du divertissement ? Je ne suis qu'un divertissement, voilà ma faiblesse.

Les mots cognent à la paroi du réceptacle vide de mes idées. J'en propose une, elle est déjà obsolète, elle ne produit rien. N'y a-t-il pas un moyen de se dépendre de la tyrannie de la liberté ? En regardant une plage publicitaire à la télévision peut-être... Pour s'éduquer, bien choisir ses produits ménagers et son alimentation carnée, trouver la voie dans le labyrinthe de la normalité éclairée. J'irai m'instruire à un cours sur la propreté, je voguerai sur une mer d'acceptation de mon appartenance à la cité, je deviendrai le sous-produit d'un élan vers la conformité. Et je me planterai, inconscient de cette folie que promettent nos Prométhée. On n'échappe pas à son temps, et tous les bouleversements de sa nature trouvent refuge dans leur mise en textes. Ce n'est donc plus comme avant. Et ce n'est toujours pas comme après. Situé à la lisière du changement, les millenials n'ont pas compris que leur vie privée allait s'éteindre, que la 5G accélérerait ce changement et que la société totalitaire dont bien des entrepreneurs rêvaient était déjà actée. #balancetonmot, écris un truc sur twitter, post une photo de ton chat sur Facebook, montre-toi tel que tu aimerais qu'on te voit et brille le temps du surgissement d'une dizaine de likes. Tu es la superstar d'un monde clos et à la fois trop vaste, tu es le héros du capitalisme triomphant et de l'écocide ubiquitaire. Prends ta voiture, va à Prague, fais du tourisme à Naples, va observer de plus près les chutes du Niagara. Et vois comme le monde se porte mieux sans toi. Toi, c'est moi, nous ne valons pas mieux toi et moi. Mais je m'applique, je dérange ce chaos de mes mots à moi, pour toi, et ce n'est pas tout-à-fait rien. Il faut bien m'exprimer, même n'importe comment, il en restera quelque chose de toi (de moi). Le médium est le message. Je m'épuise en lui, je cherche une répartie, je me désole, je me console, je ne suis pas stable. A quand l'aurore ? A quand les bons mots ? Je ne suis pas la chouette de Minerve, j'attends la lumière. Pour m'engouffrer en elle, devenir un soleil, faire de mes palabres un chemin de gloire vers quelque pensée immortelle. Pour m'y étouffer, raidir ma liberté dans sa programmation autoritaire, devenir mon propre bourreau, combler les plages d'ennui par une activité sans terme. Dans quel but ? Circonscrire cette liberté-souffrance dont je jouis à peine parce que je suis un nanti de la pire espèce. Que devons-nous sauver de nos modes d'être ? Des mondes dystopiques approchent et on ne pourra sans doute rien y faire. Je suis assis, je pense à peine, disons que je pense avec peine parce que l'univers des humains m'échappe dans une large mesure. Que faire de ce doute est la question qui se répète sans cesse. Il y a bien un étonnement, le système marche à merveille et le chaland ne souhaite que sa perduration éternelle. Voilà d'où viendra la chute : nos espoirs sont vides. Il n'y a rien après sinon la désolation. C'est la ruse de l'Histoire que de nous conduire vers son anéantissement. L'Histoire veut s'achever pour recommencer dans les mêmes modalités.

18 novembre 2020

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Fatalité de la jeunesse, écueil des jours de doute, se droguer est une activité sociale comme une autre. On se laisse vite submerger par son pouvoir, la langueur qui s'enfuit pour une autre forme d'abrutissement, un abrutissement qui joue avec le réel, et enfin un genre de liberté que l'on feint de découvrir alors que tout fout le camp. La télévision fait son office, elle nous confine dans l'ébêtement et l'inaction en nous cajolant de femmes superbes et de délices aventuriers entre deux plages de décapitation mentale ordonnées par la magistrature médiatique. On en suit le rythme, quitte à s'éteindre, avec pour seule pensée restante celle de notre estomac contrarié par la carence en nourriture de meilleur aloi que le paquet de chips qu'on vient de s'envoyer devant une émission de télé-réalité. Elle nous nourrit jusqu'aux escarres qui apparaissent après des sessions prolongées à procrastiner devant l'idée, utopique, de préparer quoi que ce soit de sain à manger. Et s'il faut se lever, que cela se fasse vite. Mon ordinateur, que j'exploite avec entrain, pousse aux mêmes dérives et je m'en rends à peine compte. Reste que la stimulation corticale y est plus forte, surtout avec tous ces boutons partout, ces champs à remplir, ces jeux vidéo, qui nous impliquent bien plus qu'un programme télévisé sans interaction, et cette musique, bien choisie, qui agace le mal de vivre. Je reconnais bien volontiers que je suis devenu un homme assis pendant ce confinement et que je marche désormais trop peu. Mais j'ai réussi à occire la boîte à image folle du champ de mes préoccupations en en faisant l'hérésie d'un monde qui va déjà trop vite pour elle. Je ne me considère en même temps pas très productif, à peine spectateur des difficultés d'un monde partout en crise. Qu'y a-t-il à sauver d'elle ? Arte diront certains et ils sont à moitié dans le vrai, BFM crieront beaucoup et ils n'ont qu'à moitié tort. TF1, France 2, W9, la chaîne parlementaire ? Rayer les mentions qui le méritent. C'est sûr que lire est acte politique qu'on ne peut pas tous se permettre. Enfin... paraît-il. Les mystiques capitalistes ont réussi le tour de force de nous astreindre à produire et à regarder avec avidité le fruit de notre production nous être revendue plus cher que ce qu'il a coûté aux propriétaires de nous faire produire. La dépossession a sa galerie des glaces : le supermarché. Moi-même j'y entre parfois, un peu sonné par le débordement de nourriture et d'objets après lesquels une certaine forme de nécessité nous fait courir. Chez moi, j'ai tout l'attirail, ne dérogeant pas à la règle édictée par le monarque en costume 3 pièces de faire tourner l'économie à son plein régime. Mais vous le saviez déjà, des milliers de trublions vous ont alertés...

Attrapons une photo de cet instant de notre âge d'or, faisons le point sur les inutiles passions que nous contractons chez Ikea ou un de nos nombreux Leclerc sur une route soigneusement pavée en direction de l'enfer. Prenons une minute à faire le silence dans nos têtes pour distinguer de nos vrais besoins les pulsions sauvages qui ont amené à cet état de grâce qu'on appelle la civilisation. Entre le travail et le sommeil, il ne reste que des divertissements pour agréer notre fatigue. L'on peut s'en contenter, regarder passer les jours en pestant de colère contre l'injustice et/ou l'Islam et se satisfaire que les liens se distendent allègrement alors que nous crevons de solitude. Les gens, monsieur tout-le-monde les connaît bien... La télévision est là pour nous ralentir, nous greffer les obsessions d'une élite en carton qui n'a que l'argent devant lui pour nous faire croire qu'il mérite cet qualification. Bourdieu est mort et à sa suite se pressent des sociologues qui n'ont voix au chapitre que lors de matinales sur France Culture et de débats express sur France Inter. C'est dans l'ombre que se constitue un savoir tragique sur la condition de notre société. L’État a échoué à faire de nous des citoyens, la messe est dite ailleurs, mais il y a encore beaucoup de potentiel non-exploité dans cette ruche qui craint pour son confort si elle ne va pas nourrir le Capital. Or, nous sommes doublement dépossédés, la division scientifique du travail nous rendant à notre misère dès lors qu'il s'agit de s'extraire du système. Je suis d'ailleurs un partisan déçu de moi-même, toujours englué dans cette fange de consommation qui ne fait que me distraire de tout engagement pratique. C'est peut-être un premier pas que d'en faire la Lumière, c'est sans doute un saut dans le vide que d'aller plus loin que déblatérer sur Facebook. On en perd foi en tout, on y gagne de savoir que raboté, on ne légitime plus rien de tenable dès lors qu'on n'en sera jamais le participant. Je suis dans le système jusque dans ma psychose, indéboulonnable, presque cynique face à la vanité narcissique de mes espoirs hallucinés. Il n'y a plus de barque pour nous sauver de ce bateau-ivre sinon pour ceux qui auront réussi le tour de force de nager jusqu'à quelque île où une solitude plus grande encore les fera sombrer dans la folie. Pour parler juste, j'aime le système qui me nourrit, m'habille et me divertit mais je me déteste régulièrement de me laisser faire. Au pied de chez moi gisent les corps de ceux que la matrice a expulsés de force de sa bienveillance. Je suis un rescapé, le nanti d'une génération azimutée et féconde de partager tous ses moments d'étonnement dans une grande fête pleine de likes et de commentaires aseptisés. Nous lâchons les chiens de façon numérique et, lorsqu'un début de révolte se fait jour, nous sommes reconduits à marcher droit au terme de manifestations au cours desquels bientôt il sera interdit de filmer les méfaits des agents de l’État.

C'est à un déluge d'images qu'on assiste, friand des toutes dernières informations, celles qui feront monter le niveau d'hilarité entre deux articles de tueries de masse dans un lointain Afghanistan. On partagera, non mais t'as vu ça, et on se pliera à la règle de la désinformation pour polluer le trouillomètre de nos angoisses les plus anodines. C'est le jeu ma pauvre Lucette. Nous sommes milliardaires en informations, le monde se livre à nous et nous l'avalons avec un verre de pastis et quelques noix de cajou. Par défaut, nous bouffons de la news à nous en faire péter le système émotionnel. Plus rien ne nous étonne et plus grand chose ne nous heurte tant que nous pouvons vivre notre âge d'or engoncés dans notre canapé (ou mon fauteuil de bureau en l'occurrence). Est-ce là le triste monde tragique de Daria ? Je ne m'en sors pas, je compulse frénétiquement mes flux rss pour me tenir au courant des dernières avancées du fascisme en Europe et ailleurs, activité sans terme ni objectif intermédiaire. Prendre un cliché de soi-même ? Riche idée qu'on appelle selfie dans les milieux et qui permettra de s'admirer benoîtement, le plus souvent en compagnie d'un.e ami.e, parfois au bras d'une star de seconde zone qui sourira autant que vous. Voilà notre exercice de démocratie, une histoire de photos et de vidéos de chatons (j'en ai moi-même postée une) placées dans le fil d'actualité au mitan d'un grand débat sur l'avenir du cinéma depuis que Sean Connery est mort. Je me laisse bercer, je suis le fil, j'appelle un ami, je confine. Tout cela d'une même traite, hypnotisé par ce grand chambardement qu'est le monde depuis toujours. Il n'y a rien de nouveau, il n'y a que trop de savoir de ce monde. L'on pourra paniquer, un peu, beaucoup..., jusqu'à la folie. Mais on ne lâchera rien, on continuera à faire ses courses, émaillées de petites emplettes assez vaines pour finir à la poubelle ou dans un vide-grenier. Pourquoi ai-je acheté ça ? Pourquoi l'a-t-on produit ? Qui a eu cette idée folle un jour d'inventer l'école ? Peu importe, le cycle continue et la télévision se maintient bien, pleine d'images en mouvement de ces choses qu'on commence, à force de répétition, à avoir envie d'acheter.

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Cédric Bouleau
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