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Cédric Bouleau
18 novembre 2020

Esthétique de l'ennui

Fatigué de courir après les mots, j'en écris quand même quelques-uns. Il n'y a guère mieux à faire, est là l'essence de ma fonction productive, je produis des mots. Des agencements à tout le moins, émaillés de fulgurances et de repentances qui n'ont utilité qu'à être lues sans passion par le tout-venant, la masse réduite à sa plus simple expression, les gens qui passent par hasard. Il y a une dénigration de soi, un jeu mortifère de la flagellation de soi, une folie de la mise en scène de son incapacité à éveiller qui que ce soit. Je déconstruis pour reconstruire, j'instruis un procès pour la postérité, je me love dans ce carnage en quête d'un plébiscite et je n'y trouve que la désolation. On ne lit plus, on écrit. Tout ceci est d'un commun... Je voudrais comprendre : qu'est-ce qui me pousse à écrire ? Le résultat est chaotique, je me repais du désordre et me convaincs que tout ceci est vain. Au détour de la prose, des idées jailliront à toute vitesse et se noieront dans la masse de ce tourbillon. Je tourne en rond dans une mer plasmatique dépourvue de fond et je m'y enfonce. Mes cris sont étouffés par la pression des eaux amniotiques desquels je n'ai pas su m'échapper. Je ne grandirai jamais, je serai pour toujours le bouffon d'une farce d'existence qui s’accommode d'abord de rester sur place et d'avancer, ensuite, par bonds furtifs. Mes desseins son malsains, mes conquêtes sont devenues une fête, je jouis de dire oui à l'ennui. Et rien n'avance sinon l'entropie de mon corps lourd. A la fin de la représentation la mort et la place libérée pour un autre souffrant. Mon martyr est pourtant de n'avoir rien du martyr. Il n'y a de heurt que ceux que je m'impose de façon masochiste, emporté dans la dénonciation de ma piètre existence, nettement plus heureuse que ce qui est légitime. Quelqu'un veut-il me libérer de cette fange ? Me conduire vers la définitive acceptation de mon sort des plus confortables ? Je pleure des larmes de crocodile, je me plains du rien, je me plains de ne pas assez souffrir, je me plains de ne pas trouver de sens à tout ça. C'est un jeu sans gagnant que de libérer mon fiel, de dégouliner de mièvrerie adolescente, de croire que tout est perdu alors que tout est gagné. Il y faut néanmoins bien un sens, plus qu'une direction, une signification à cet agitation. Je suis le signifiant sans signifié, en puissance pour un acte vide. Il n'y a que le vide. De quoi remplir les neurorécepteurs ? Je suis une machine qui se gave de neurotransmissions et après c'est la chute. Je deviens morose, je me mets à haïr ma condition sans véritable raison, je démissionne de la raison. Je suis le signifiant mais ça ne signifie rien, il n'y a que le vide des passions sans dénouement. Je ne suis pas triste, je suis juste en colère contre moi-même, incapable de trouver une destination à ma prose. Qui veut lire ça ? Qui écrit tout ça et pourquoi ? Il n'y a pas de raison, il n'y que la chute dans le vide ; je me lance, je traverse l'espace en tombant mais je ne m'écrase pas. Rien n'est achevé et chaque jour je recommence. Voilà un délit de la pensée, une disharmonie manifeste avec la bienséance d'écrire pour les autres, je n'écris qu'au vide. Pour rien. Il n'y a que le vide.

Fatigué de courir après les mots, j'en pose quelques-un de trop. C'est sans conséquence et on peut s'en amuser. Quel trublion instable ! Je me prête au jeu du je et nous n'en sortirons pas grandi. Je vous le redis : je ne grandirai jamais. Grand bien que ma prose ne serve à rien. Elle n'a pas de valeur marchande, elle est là pour rien, elle existe sans l'aval de la critique, elle s'épanouit dans le vide, je me destine au vide. Qui lira ces mots ? Qui en fera quelque chose ? Faut-il vraiment en faire quelque chose ? Le rêve d'être écrivain est une hallucination et cette hallucination est tenace, elle offre un aperçu, une première destination, enfin. Mais elle est trouble, elle gigote devant moi, instable, impossible à juguler et impossible à atteindre. J'écris quand même, pour le style dirons-nous, à défaut d'autre chose. Et je me débats dans la fange que j'ai installé de mon propre chef, sans la directive de quelque kommandantur, je suis libre de nager dans ma crasse littéraire, sans port, tout compte fait sans destination, avec cette plainte sans fondement, la plainte du nanti qui s'ennuie de tout. L'accumulation des possibles a rendu le réel impossible, je barbote dans le néant et rien n'en sort. Il n'y a que le vide. Cette vie est une farce, la réplique sans teint et j'ai le teint d'un replicant. Trop de tout tue le tout, je me balance au-dessus du vide, je vais sans doute sauter. Puis recommencer, ouvrir une page blanche, la souiller de mes désirs éteints, courir après des mots dans une désescalade de la prudence littéraire. Je vais tout vous dire, ce n'est pas grand chose, peut-être même rien. Il n'en sortira rien, le propos est creux, dans le fond il n'y a que du vide. Bon, c'est déjà ça. Il y a une mise en forme, une folie latente, une volonté de décrire la lubie d'écrire, même rien, à tout le moins rien de passionnant. Je ne suis pas passionnant, je ne suis pas un auteur, je suis un acteur qui joue sa propre gloire déjà fanée, usurpée, forfaite, sans l'élégante humilité de celui qui pas même ne jouera de la sienne. Écrire relève de ma pulsion de mort, il faut que j'expulse ma haine contre tout et que je le fasse pour rien. Exercice simple, déballage comme un brainstorming, idéal révolutionnaire de n'avoir aucune raison d'écrire et d'écrire sans la vindicte d'un peuple grognant qu'il veut une enquête, au moins un mort et un assassin sous les verrous. Je vous fais bouffer du vide, du tiède, du sans sel et tout à la fois une ritournelle éternelle. Vide. Vide. Vide. Personne n'en fera rien, personne n'osera le plagiat parce qu'il n'y a rien à en faire. Vide.

Fatigué de courir après les mots, je me fais violence pour en rajouter. C'est mon destin, celui de n'être rien et de le hurler abondamment, dans une litanie verbeuse sans assise. Ce texte ne véhicule que du vide, il n'a pas de passager, aucune méthode pour rien ni guère de prétention à être plus-que-rien. Et en même temps on pourra y déceler un message, parce que le médium est le message. Je transpire de vide mais c'est mon corps qui le produit. Je suis un corps plein affublé d'un corps astral vide. Je n'ai aucune idée de ce que je peux apporter de concret à la littérature, sans doute ne lui apporterai-je rien. Rien de valable sinon une belle coquille vide qui produit des perles une fois l'an, aux alentours de Noël, alors que les rayons sont pleins et que je cherche en moi les ressources pour produire ma saillie. En attendant, je fermente pour rien et je pourris de ce vide aqueux dans lequel je me débats pour détruire l'armure incapacitante qui cache ma nudité. Je ne m'offre pas, je me survole, je me plains du vide quand d'autres se plaignent de la guerre et de la famine. Je suis un nanti et je n'ai que le vide pour compagnon ce soir. Il s'en passe des choses dans le vide, ce n'est pas rien. Pourtant, c'est désespérant ces pauvres riches qui accumulent l'ennui de ne plus savoir par quel bout prendre le goût de vivre. Il y a des fluctuations dans le vide, des désordres sensoriels, sensibles, sensuels. Comme s'il y avait quelque chose, énigmatique mais vivant, au-delà de la physique et douloureux pour le moral. A moins que ce ne soit qu'une privation sérotoninergique, une descente de MD – je ne prends plus de MD – ou une espèce de bad trip cannabinoïde. Dans le vide, l'angoisse monte et rien n'y fait sinon le Loxapac et le sommeil. Il n'y a que de la matière, nous nageons dans une piscine atomique et notre malaise trouvera résolution dans le monde qui se profile : le meilleur des mondes. Avec pour seul médicament l'argent. I want money, power, glory. Quand je me sens mal, je vais retirer cent balles. Qui vont s'évaporer en emplettes inutiles, parce que le mieux est dans le futile. Et dans mon apathie spectrale, je serai toujours au-dessus du vide. Le trouble moderne c'est de se perdre dans le spectacle, faire péter le cerveau de transmissions neurales et recommencer avant que ça ne redescende. C'est la décharge mentale, le secret du pourrissement de toute sophia : la perdition dans le divertissement. Et je nage dans le divertissement, j'en ai trop à disposition, je ne sais plus qu'en faire. Rien. Me laisser aller au vide et l'écrire.

C'est tellement facile les mots. Il n'est pas évident que vous les interprétiez toujours comme je voudrais, moi-même je ne suis pas toujours très raccord entre ce que je pense et ce que j'écris. Des mots s'ajoutent, des mots s'enlèvent, des mots résistent à la tempête bien que ça ne prouve rien. Il en faut toujours plus, je les collectionne, je les dispose dans tous les sens. Parce qu'ils sont souples. C'est un solo à la Samsara Blues Experiment qui dure des plombes que je fais, presque une impro à la Oresund Space Collective, parfois une vague pop à la Orange Alabaster Mushroom ou une complainte à la Windhand, une ritournelle à la Trentemoller que sais-je. The grammar is the limit. Et encore, pas toujours. On peut lui fouler le bras à la grammaire, on peut lui péter un genou du moment que c'est frappant. Bon, je frappe toujours dans le vide. Mais ce n'est rien me dit-on. Encore un divertissement. Peut-être une lubie, une incartade, un délire, une aventure lexicale. Tout est là, j'ai des aventures avec les mots, avec leurs sons, avec leurs sens, et je me suis essayé à toutes les positions avec les COD et les COI. Tout ça pour quoi ? Pour rien ? Ma foi... On les lira ici et là, dans la friend zone, dans la famille, par erreur aussi, par goût du risque. Je pourrais rédiger un pamphlet à mon encontre mais il ne serait pas assez violent pour rendre justice à ma vanité. Je cherche à me détruire par les mots, à exercer ma vengeance contre ma platitude, à produire une œuvre de mutilation de ma personne. Et ça vient doucement, ça se plaque, ça explose, mais ça ne laisse aucune cicatrice. Je suis insensible à ma douleur, dont j'essaye de me repaître de façon maladive. On le sait que je suis malade. Ça n'a d'ailleurs jamais été un très grand secret. Et ma grande joie est d'être graphomane. Oh ! Je ne suis pas aussi inspiré que les Grands, je ne suis pas aussi mélodieux, je ne suis pas aussi original, simplement j'emmène mes mots au combat et là tout de suite ils ne produisent que le vide. Rien. Je n'envie pas les Proust et le Joyce, mais j'ai une dent contre les Musso et les Werber, mon monde bouge au travers d'eux, de leur répartie et de leur talent, qu'il soit réel ou pas. Je prends la fuite, je m'expose plein de fard et je ne dis rien de plus qu'eux. Il n'y a rien de plus à dire que tout ce qui a déjà été dit mais on peut le faire quand même et je m'y applique, toujours pour juguler l'hallucination, la soumettre à mon désir factice, croire que tout cela peut se voir conférer une quelconque valeur. Frappez-moi, je saurai que j'existe. Il n'y a rien de pire que le vide... chez les nantis comme moi. C'est le point faible de l'homme moderne : sa décontenance devant l'orgie. Vais-je regarder un film (Netflix m'en propose des centaines), faire un jeu vidéo (j'en ai plus de 500), lire un livre (il m'en reste 50 à compulser), sortir ? Je reste chez moi et j'écris. Pour participer à l'industrie du divertissement ? Je ne suis qu'un divertissement, voilà ma faiblesse.

Les mots cognent à la paroi du réceptacle vide de mes idées. J'en propose une, elle est déjà obsolète, elle ne produit rien. N'y a-t-il pas un moyen de se dépendre de la tyrannie de la liberté ? En regardant une plage publicitaire à la télévision peut-être... Pour s'éduquer, bien choisir ses produits ménagers et son alimentation carnée, trouver la voie dans le labyrinthe de la normalité éclairée. J'irai m'instruire à un cours sur la propreté, je voguerai sur une mer d'acceptation de mon appartenance à la cité, je deviendrai le sous-produit d'un élan vers la conformité. Et je me planterai, inconscient de cette folie que promettent nos Prométhée. On n'échappe pas à son temps, et tous les bouleversements de sa nature trouvent refuge dans leur mise en textes. Ce n'est donc plus comme avant. Et ce n'est toujours pas comme après. Situé à la lisière du changement, les millenials n'ont pas compris que leur vie privée allait s'éteindre, que la 5G accélérerait ce changement et que la société totalitaire dont bien des entrepreneurs rêvaient était déjà actée. #balancetonmot, écris un truc sur twitter, post une photo de ton chat sur Facebook, montre-toi tel que tu aimerais qu'on te voit et brille le temps du surgissement d'une dizaine de likes. Tu es la superstar d'un monde clos et à la fois trop vaste, tu es le héros du capitalisme triomphant et de l'écocide ubiquitaire. Prends ta voiture, va à Prague, fais du tourisme à Naples, va observer de plus près les chutes du Niagara. Et vois comme le monde se porte mieux sans toi. Toi, c'est moi, nous ne valons pas mieux toi et moi. Mais je m'applique, je dérange ce chaos de mes mots à moi, pour toi, et ce n'est pas tout-à-fait rien. Il faut bien m'exprimer, même n'importe comment, il en restera quelque chose de toi (de moi). Le médium est le message. Je m'épuise en lui, je cherche une répartie, je me désole, je me console, je ne suis pas stable. A quand l'aurore ? A quand les bons mots ? Je ne suis pas la chouette de Minerve, j'attends la lumière. Pour m'engouffrer en elle, devenir un soleil, faire de mes palabres un chemin de gloire vers quelque pensée immortelle. Pour m'y étouffer, raidir ma liberté dans sa programmation autoritaire, devenir mon propre bourreau, combler les plages d'ennui par une activité sans terme. Dans quel but ? Circonscrire cette liberté-souffrance dont je jouis à peine parce que je suis un nanti de la pire espèce. Que devons-nous sauver de nos modes d'être ? Des mondes dystopiques approchent et on ne pourra sans doute rien y faire. Je suis assis, je pense à peine, disons que je pense avec peine parce que l'univers des humains m'échappe dans une large mesure. Que faire de ce doute est la question qui se répète sans cesse. Il y a bien un étonnement, le système marche à merveille et le chaland ne souhaite que sa perduration éternelle. Voilà d'où viendra la chute : nos espoirs sont vides. Il n'y a rien après sinon la désolation. C'est la ruse de l'Histoire que de nous conduire vers son anéantissement. L'Histoire veut s'achever pour recommencer dans les mêmes modalités.

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Cédric Bouleau
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