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Cédric Bouleau
18 novembre 2020

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Fatalité de la jeunesse, écueil des jours de doute, se droguer est une activité sociale comme une autre. On se laisse vite submerger par son pouvoir, la langueur qui s'enfuit pour une autre forme d'abrutissement, un abrutissement qui joue avec le réel, et enfin un genre de liberté que l'on feint de découvrir alors que tout fout le camp. La télévision fait son office, elle nous confine dans l'ébêtement et l'inaction en nous cajolant de femmes superbes et de délices aventuriers entre deux plages de décapitation mentale ordonnées par la magistrature médiatique. On en suit le rythme, quitte à s'éteindre, avec pour seule pensée restante celle de notre estomac contrarié par la carence en nourriture de meilleur aloi que le paquet de chips qu'on vient de s'envoyer devant une émission de télé-réalité. Elle nous nourrit jusqu'aux escarres qui apparaissent après des sessions prolongées à procrastiner devant l'idée, utopique, de préparer quoi que ce soit de sain à manger. Et s'il faut se lever, que cela se fasse vite. Mon ordinateur, que j'exploite avec entrain, pousse aux mêmes dérives et je m'en rends à peine compte. Reste que la stimulation corticale y est plus forte, surtout avec tous ces boutons partout, ces champs à remplir, ces jeux vidéo, qui nous impliquent bien plus qu'un programme télévisé sans interaction, et cette musique, bien choisie, qui agace le mal de vivre. Je reconnais bien volontiers que je suis devenu un homme assis pendant ce confinement et que je marche désormais trop peu. Mais j'ai réussi à occire la boîte à image folle du champ de mes préoccupations en en faisant l'hérésie d'un monde qui va déjà trop vite pour elle. Je ne me considère en même temps pas très productif, à peine spectateur des difficultés d'un monde partout en crise. Qu'y a-t-il à sauver d'elle ? Arte diront certains et ils sont à moitié dans le vrai, BFM crieront beaucoup et ils n'ont qu'à moitié tort. TF1, France 2, W9, la chaîne parlementaire ? Rayer les mentions qui le méritent. C'est sûr que lire est acte politique qu'on ne peut pas tous se permettre. Enfin... paraît-il. Les mystiques capitalistes ont réussi le tour de force de nous astreindre à produire et à regarder avec avidité le fruit de notre production nous être revendue plus cher que ce qu'il a coûté aux propriétaires de nous faire produire. La dépossession a sa galerie des glaces : le supermarché. Moi-même j'y entre parfois, un peu sonné par le débordement de nourriture et d'objets après lesquels une certaine forme de nécessité nous fait courir. Chez moi, j'ai tout l'attirail, ne dérogeant pas à la règle édictée par le monarque en costume 3 pièces de faire tourner l'économie à son plein régime. Mais vous le saviez déjà, des milliers de trublions vous ont alertés...

Attrapons une photo de cet instant de notre âge d'or, faisons le point sur les inutiles passions que nous contractons chez Ikea ou un de nos nombreux Leclerc sur une route soigneusement pavée en direction de l'enfer. Prenons une minute à faire le silence dans nos têtes pour distinguer de nos vrais besoins les pulsions sauvages qui ont amené à cet état de grâce qu'on appelle la civilisation. Entre le travail et le sommeil, il ne reste que des divertissements pour agréer notre fatigue. L'on peut s'en contenter, regarder passer les jours en pestant de colère contre l'injustice et/ou l'Islam et se satisfaire que les liens se distendent allègrement alors que nous crevons de solitude. Les gens, monsieur tout-le-monde les connaît bien... La télévision est là pour nous ralentir, nous greffer les obsessions d'une élite en carton qui n'a que l'argent devant lui pour nous faire croire qu'il mérite cet qualification. Bourdieu est mort et à sa suite se pressent des sociologues qui n'ont voix au chapitre que lors de matinales sur France Culture et de débats express sur France Inter. C'est dans l'ombre que se constitue un savoir tragique sur la condition de notre société. L’État a échoué à faire de nous des citoyens, la messe est dite ailleurs, mais il y a encore beaucoup de potentiel non-exploité dans cette ruche qui craint pour son confort si elle ne va pas nourrir le Capital. Or, nous sommes doublement dépossédés, la division scientifique du travail nous rendant à notre misère dès lors qu'il s'agit de s'extraire du système. Je suis d'ailleurs un partisan déçu de moi-même, toujours englué dans cette fange de consommation qui ne fait que me distraire de tout engagement pratique. C'est peut-être un premier pas que d'en faire la Lumière, c'est sans doute un saut dans le vide que d'aller plus loin que déblatérer sur Facebook. On en perd foi en tout, on y gagne de savoir que raboté, on ne légitime plus rien de tenable dès lors qu'on n'en sera jamais le participant. Je suis dans le système jusque dans ma psychose, indéboulonnable, presque cynique face à la vanité narcissique de mes espoirs hallucinés. Il n'y a plus de barque pour nous sauver de ce bateau-ivre sinon pour ceux qui auront réussi le tour de force de nager jusqu'à quelque île où une solitude plus grande encore les fera sombrer dans la folie. Pour parler juste, j'aime le système qui me nourrit, m'habille et me divertit mais je me déteste régulièrement de me laisser faire. Au pied de chez moi gisent les corps de ceux que la matrice a expulsés de force de sa bienveillance. Je suis un rescapé, le nanti d'une génération azimutée et féconde de partager tous ses moments d'étonnement dans une grande fête pleine de likes et de commentaires aseptisés. Nous lâchons les chiens de façon numérique et, lorsqu'un début de révolte se fait jour, nous sommes reconduits à marcher droit au terme de manifestations au cours desquels bientôt il sera interdit de filmer les méfaits des agents de l’État.

C'est à un déluge d'images qu'on assiste, friand des toutes dernières informations, celles qui feront monter le niveau d'hilarité entre deux articles de tueries de masse dans un lointain Afghanistan. On partagera, non mais t'as vu ça, et on se pliera à la règle de la désinformation pour polluer le trouillomètre de nos angoisses les plus anodines. C'est le jeu ma pauvre Lucette. Nous sommes milliardaires en informations, le monde se livre à nous et nous l'avalons avec un verre de pastis et quelques noix de cajou. Par défaut, nous bouffons de la news à nous en faire péter le système émotionnel. Plus rien ne nous étonne et plus grand chose ne nous heurte tant que nous pouvons vivre notre âge d'or engoncés dans notre canapé (ou mon fauteuil de bureau en l'occurrence). Est-ce là le triste monde tragique de Daria ? Je ne m'en sors pas, je compulse frénétiquement mes flux rss pour me tenir au courant des dernières avancées du fascisme en Europe et ailleurs, activité sans terme ni objectif intermédiaire. Prendre un cliché de soi-même ? Riche idée qu'on appelle selfie dans les milieux et qui permettra de s'admirer benoîtement, le plus souvent en compagnie d'un.e ami.e, parfois au bras d'une star de seconde zone qui sourira autant que vous. Voilà notre exercice de démocratie, une histoire de photos et de vidéos de chatons (j'en ai moi-même postée une) placées dans le fil d'actualité au mitan d'un grand débat sur l'avenir du cinéma depuis que Sean Connery est mort. Je me laisse bercer, je suis le fil, j'appelle un ami, je confine. Tout cela d'une même traite, hypnotisé par ce grand chambardement qu'est le monde depuis toujours. Il n'y a rien de nouveau, il n'y a que trop de savoir de ce monde. L'on pourra paniquer, un peu, beaucoup..., jusqu'à la folie. Mais on ne lâchera rien, on continuera à faire ses courses, émaillées de petites emplettes assez vaines pour finir à la poubelle ou dans un vide-grenier. Pourquoi ai-je acheté ça ? Pourquoi l'a-t-on produit ? Qui a eu cette idée folle un jour d'inventer l'école ? Peu importe, le cycle continue et la télévision se maintient bien, pleine d'images en mouvement de ces choses qu'on commence, à force de répétition, à avoir envie d'acheter.

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Cédric Bouleau
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