Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Cédric Bouleau
18 novembre 2020

Meetic

Dans les bas-fonds, nous nous éclairons de lumières artificielles. Nous glissons un mot pour rien à la Providence qui nous assigne au silence, sans nous faire renâcler à fournir aux images du passé un peu de gloriole en les atourant de notre mélancolie, et l'on dérive, happés par le vide et blessés par les parois trop dures du puits dans lequel nous ne faisons que chuter et rebondir jusqu'à l'écrasement terminal. Dans ce cosmos bizarre nous sentons quelques fleurs et d'autres images qui ont le secret de nous plaire. Nous voyageons, nous rencontrons, nous aimons sans raison, nous dérivons. Nous aimons ? Tels des lézards, nous nous brûlons sur les murs qui promettent le soleil et la paix. Nous voilà dans le supermarché de l'amour mais celles que nous choisissons esquivent notre estoc, qui par le mépris d'une absence de réponse, qui par une diatribe courtoise mais repoussante. D'autres enfin ferment toutes les portes, nous sommes devenus persona non grata. Il faudra de la force pour conquérir le mont Armorique, de la patience pour essuyer les échecs, un grain de folie pour croire qu'à ce jeu nous sommes promis un jour ou l'autre à réussir. Quel cours pratique avons-nous manqué pour être à ce point distrait ? Les visites s'enchaînent à nous faire exulter mais au-delà de l'écran il n'y a que la cruauté du choix de dames aux bras chargés des mots de tous ces hères qui peuvent les harceler, presque faire la queue dans des files d'attente. Aujourd'hui est le premier jour du reste de votre vie ? Raté. Demain il faudra recommencer. La frustration nous épuise mais un léger espoir stimule notre appétit. Lui aussi sera sans doute déçu. Or, nous nous accrochons, nous faisons une expérience comme on confectionne un attrape-rêves et nous continuons de voir le monde par la lucarne Google et Cie. Les yeux scotchés à l'écran, les possibilités défilent. Et nous-mêmes nous en discriminons, alertes de notre potentiel, finalement trompés par notre superbe...

Mais nous ne broyons pas du noir, notre vie est calme et distrayante. Des choses étonnantes ont pris réalité, nous sommes même allés chez le coiffeur. Les amis sont là, ils nous surveillent un peu et avec raison, parce que même si nous le surjouons notre enthousiasme est sincère. Bien sûr, il nous perd et nous chutons. Nous ne faisons que chuter. Nous nous relevons, nous prenons quelques photos d'un monde qui traverse l'apocalypse avec au loin, en Chine encore, la survenance de la peste bubonique qui en inquiète plus d'un. Nous n'emporterons même pas notre frénésie avec nous, il faudra la délayer dans le sillon bienséant que la ploutocratie ubiquitaire nous accorde avec la générosité mesquine d'un dieu qui s'amuse à nous faire payer sa fortune de notre inconséquente boulimie consommatrice. Riche idée. Riche tout court. Déjà, nous en voyons la fin, aucun extrait de notre piètre poésie n'atteint sa cible, nous sommes de pauvres quêteurs cherchant un refuge romantique passé de mode. Après tout, les romances ne sont-elles pas que des fictions qui ligotent l'univers, comme des parasites, pour le ramener à quelque chose qui n'a d'essentiel que le fantasme. Pourrissant mollement, désabusés, bien sûr déçus – parce qu'une foi absurde en la délivrance nous ceint. Étonnamment nous ne pleurons pas, nous acceptons notre sort, de toute façon celui d'un monde où plus personne ne se comprend. Voilà notre épreuve initiatique et au bout pointe la vérité : ces romances n'ont de succès qu'au cinéma et dans les emportements liquoreux des personnages de Marc Lévy.

Alors après, quoi ? La tentation de gourmander la Création dans son entier nous empêche de voir que notre esprit flotte, gouverné par les desiderata d'une kommandantur qui continue de primer le travail, la famille et sans doute la patrie. Nous pouvons bien les haïr, ces sbires assermentés par l'Eglise de la Main Invisible, mais nous ne pouvons rien contre eux. Leurs us ont pris corps jusque dans nos subconscients qui tentent de nous corriger, parfois en nous ramenant dans les salles de sport, la plupart du temps en nous culpabilisant de ne pas rentrer dans le canon qui nous ouvrirait les portes de celles qui nous plaisent tellement que nous arrivions à croire que nous pouvons vraiment les aimer en dehors de leur plastique publicitaire. Qu'aimons-nous sinon parader en agréable compagnie ? Photos à l'appui si indisponibilité... Les mal loties ont compris que malgré un physique difficile il était prudent d'être exigeantes sinon à se faire harceler par un homme en chien. Les plus belles histoires ressemblent à des amitiés et c'est tout ce que nous pouvons espérer. Or, sur Meetic pas même ! Nous nous sommes enflammés, la brûlure reste superficielle mais nous avons pris le parti de laisser tomber ce jeu de dupes, avec dans l'idée que nous avons (25 fois) tenté quelque chose.

Publicité
Publicité
Commentaires
Cédric Bouleau
Publicité
Archives
Pages
Publicité