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Cédric Bouleau
18 novembre 2020

Felix Cité

Nous ne sommes rien, nous ne pouvons rien, nous rêvons de tout. C'est là notre maladie et elle sera bientôt au répertoire des affections courantes de la psychiatrie. Nous prendrons la pilule bleue, achetée séance tenante le jour où nous en aurons assez de nous balancer sur la corde qui lie notre potentiel puéril et surfait à nos aspirations sans cesse déçues. Elle viendra nous sauver, l'ange de l'irréalité, avec une flamme au bout des doigts pour nous soigner de notre inanité. Il faudrait se plier au diktat du marché, être attifé et costumé, ne plus suffoquer dans nos odeurs anisées et prendre, comme d'autres disent, le taureau par les cornes. Il faudrait ranger, arrêter de piailler, nous prendre en main, en finir avec nos gémissements attardés et aller un peu plus loin, là devant. Or, sans doute est-ce déjà trop tard, nous sommes catalogués attardés, inaptes et désespérés. Pourtant, une joie sans pareil nous fait vivre et nous voulons la sauver. Sauver la princesse aussi, trancher dans le vif, éviter la friend zone, simplement trouver les clés du château sans avoir à quémander. Qu'elle nous ouvre les portes de son monde, que nous riions ensemble sans nous offusquer des qu'en dira-t-on, que l'espace entier nous appartienne. Il faudra tout d'abord aller à sa rencontre, être patient, l'écouter et l'appuyer, lui trouver les meilleurs qualités et accepter ses infirmités.

Il en est une qui nous plaît mais nous ne savons la réciproque pour l'instant que dans la simple amitié. Elle est radieuse et souriante, elle a envie de vivre et de jouer et nous voulons l'adouber chevalier de notre société. Déjà. Alors que nous la connaissons à peine sinon par le sentiment que la paire s'est faite naturellement les deux fois que nous nous sommes côtoyés. Ce n'est pas un présage de réussite, juste une prémisse de celle-ci. Et c'est déjà beaucoup. Mais voyons notre panse proéminente, notre âge qui commence à avancer, nos cheveux ébouriffés, notre haleine caféinée, tous nos défauts les plus éhontés. Pour comprendre que notre stratégie est celle de l'échec, sans avoir à pavoiser. Nous essaierons de la mettre dans nos draps ? Si la sagacité nous sied, nous entrerons plutôt dans les siens. Bien sûr, là n'est pas la fin dernière, juste un plaisir glané sur l'autel de la félicité, laquelle pourrait comporter des plaisirs divers, parfois avariés, surannés bien que délicats. Voyager bras dessus bras dessous, aller voir ailleurs, visiter un musée, se promener dans la cité et imaginer que l'univers est offert à nos regards tournés même vers des horizons différents. Surtout, nous voulons la connaître, extraire de l'inconnu les détails de son humanité, la rencontrer dans son sommeil, l'apprivoiser, la contenter, lui rendre la vie d'un meilleur accès.

Nous ne savons pas si ses pensées sont déjà prises ailleurs, si un démon bienveillant lui fait la cour dans les règles sans lui donner de coups de règle. Nous ne savons pas grand chose sinon que notre équipée est comique et complice un peu déjà. Et ça nous rend heureux. De son côté, peut-elle souffrir du bonheur que nous voulons lui offrir si tant est que nous en soyons capables ? Est-elle disposée à faire sien un consentement à nos défauts les plus criants ? Ne prophétisons pas. Laissons dériver cette histoire pour voir où elle nous mène, laissons le vent nous porter, nous irons bien quelque part.

Oui, nous sommes bien allés quelque part, dans la précipitation peut-être, comme s'il y avait une urgence, et nous avons presque percutés le mur de nos défaillances. Combien de fois rater, combien de fois remettre notre ouvrage pour découvrir que nous n'intéressons pas celles qui nous intéressent... Ce devrait être une autre mais tout semble nous indiquer que les dés sont pipés, qu'un fatum morbide nous empoisonne le neurone affectif, ce qui nous fait nous couler sur notre siège, infâme, du certaine façon gros, vieux et moche. Qu'avons-nous pour nous sinon à peine cette littérature pour nous absoudre de notre ruine sentimentale ? Nous guettons, des miracles sont déjà arrivés. Et nous nous replions dans notre frustration, incapables de prier des dieux absents pour retrouver un espoir qui ne sera pas déçu par l'acharnement de la réalité à nous rabaisser. Muse, es-tu là ? Nous te convoquons dans un charme mais tu t'éclipses avec la célérité d'un chat. Nous nous sommes trompés d'existence, il nous faudrait rogner notre bedaine, soigner notre être traître, sortir des marges et devenir pompier. Pompier de l'espace, à la recherche d'un gramme d'extase, pour voir depuis au-delà les cieux. Écrasés au sol, si petits, si ridicules, dans notre terrier nous ne voyons que les étoiles. C'est notre marotte, notre péché gourmand qui nous pousse à la diète. Nous nous sommes trompés de rêve, nous fabulons, nous délirons encore un peu, imbus de nos fantasmes surfaits. Y a-t-il des choses qu'il ne faut pas dire ? Pourtant, nous balançons. Nous sommes le héros triste qui perd toutes les batailles mais pas la vie. Ainsi, nous traînons notre désarroi et notre indignité d'avance désignée.

Nous sommes ivres de sommets inatteignables, nous ne faisons qu'emprunter le sentier au pied de la montagne alors qu'il n'y a personne pour nous emmener plus haut, pas même un guide. Pas tant défaits que pas encore faits. Dans le vide de l'espace nous voudrions nous jeter dans une étoile, mourir d'une joie brûlante dans l'alcôve d'un récit renversant. Mais nous visons à côté, désemparés, inconsolables bien que pas encore déprimés. Notre sang palpite et nos rêves meurent, avortés par l'implacabilité de la nécessité. Les possibilités se noient dans l'improbabilité, nous sommes ceints de chiffres qui nous désavantagent et si la mort pouvait nous en délivrer nous ne serions plus là pour le remarquer. En attendant, nos désirs sont gâchés sur l'autel de la réalité, nous ne volons qu'en songes et l'échec nous corne le cœur. Il n'y a pas de belles échappées, non, il n'y a que la réalité. Seulement, où sonder ? Encore une fois, répétons-le, nous n'avons rien appris. Il nous reste la liberté, un boulevard où se promener sans l'opprobre du chaland amusé. Nous avons été éliminés, abasourdis de notre incapacité, fier de notre marginalité. Nous ne l'avons pas exposée, nous avons juste suggéré son existence dans l'ombre de notre pensée cryptée et si facile à déceler. C'est un échec.

Nous aimerions être revenu de tout mais nous sommes têtus, incapables de sonner l'alarme quant à notre incapacité. Pourtant, nous l'éructons, nous la délayons en mots le long de lettres-fleuves qui n'en finissent pas de nous diminuer. L'écume nous redonne le tonus de croire qu'on pourrait, si les dieux (absents) nous le permettaient, réussir au moins une fois à respirer les effluves d'une romance au moins sympathique. Évidemment, nous n'avons pas une vie trépidante, nous ne faisons que naviguer du fauteuil au frigo en allant prendre un verre au bar de temps en temps pour sublimer la sensation d'avoir une vie sociale (nous en avons quand même une). Mais nous avons le vocabulaire pour l'exprimer, même de façon parcellaire. Qu'en dirait Proust ne nous intéresse pas, nous voulons mourir en ligne, déshabitués de la manie de rêver. Le monde nous crie dessus qu'il n'y a pas d'arnaque, que nous sommes simplement les à-côté de la modernité, avec la chance de ne plus en être les repoussoir. Ainsi, nous nageons en société au milieu des requins en croyant que nous en sommes les géniaux dauphins. Quelle méprise ! De râteaux en tornades, nous imaginons une échappatoire, un moment de grâce, la découverte d'une porte de sortie dans ce dédale formaté. Encore une méprise, nous crèverons dans le couloir B. Des ailes ne nous suffiraient pas, sauf si elles étaient belles. Alors nous pompons de l'énergie au creux de chaque petit plaisir, doctes avec la dopamine, stricts avec la sérotonine, débarrassés des sensations trop fortes (encore que pas toujours) et nous punissant de coups de fouet symboliques.

Malgré tout, nous aimons la vie, d'autres réussites le prouvent. Abreuvés de médecine, nous avons perdu le fil de la normalité. Nous essayons d'en suivre les coutumes avec un succès honorable mais, cachés, nous filons du coton de mauvaise qualité. Cela pourrait changer, notre caractère n'est déjà plus aussi trempé et vindicatif contre le reste du monde qu'autrefois. Ici, nous ne voulons pas afficher notre misanthropie. Ou si peut-être un peu, bien que nous restions sociables et pondérés. 40 ans d'expérience de la vie nous ont rendu à la fois cynique ici et de bonne compagnie autrement. Certains l'ont compris, d'autres ne l'ont pas encore appris, nous sommes des idéalistes baignés de l'implacabilité des réalistes. Quant à la femme de nos envies, débridées comme polies, nous en flairons l'existence mais chaque fois nous sortons du cadre de ses préférences. Et bien soit, parlons encore de nous, c'est un leitmotiv. Faut-il explorer d'autres galaxies ? Se faire rembarrer cinq fois par jour sur Meetic avant d'enfin trouver le vrai déclic ? Le monde est cruel et sans doute le sommes-nous aussi. Du coup, il y a peu à dire... Pourtant, nous en faisons tout un livre. Tragédie !

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Cédric Bouleau
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