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Cédric Bouleau
18 novembre 2020

Chère inconnue

Chère inconnue,

Où es-tu ? Qui es-tu ? Que me veux-tu ? Ne serait-il pas plaisant qu'on se raconte, j'ai le sentiment que si, qu'il y a un abîme à combler et que nous avons beaucoup à nous dire dans l'alcôve d'un rêve écrit. Nous pourrions renverser quelques perspectives, voir les bonheurs que nous sommes capables de nous offrir sans nous jeter l'un sur l'autre à coup de photos et de likes, imaginer une toute petite bulle, secrète, qui n'aurait d'usage que pour nous, où nous pourrions tout nous dire, l'essentiel et le futile, le beau et même le laid, dans une litanie surannée de mots doux, enfiévrés, colériques, conciliants, confessant, cachant, jouant. Voilà ma bouteille à la mer, un désir de t'écrire, un espoir que tu y répondes, et qu'ensemble, juste toi et moi, nous refassions le monde à notre plaisir, qu'à la limite nous en créions un autre, parallèle, mesquin du reste de l'univers. Soyons muses l'un pour l'autre, défions les prophéties incantatoires d'un système qui nous voue à la vitesse et à toutes ses étourderies. Tu es là ? Ah ! Je crois que je t'entends. Mais ce n'est pas sûr, on nous épie, on nous surveille, on nous note jusqu'à l'épuisement, et je sens que tu veux faire une pause dans cette orgie de foudres éphémères. Es-tu là ? Montre-toi ! Libère-moi de ce fardeau en m'écrivant !

Je crois comprendre que je n'ai pas été à la hauteur de tes attentes en matière de déguisement et de charme plastique. Écoute ma plainte alors ! Viens dans ma tête, cette cabane acclimatée où je compile mes mots les plus beaux et où je rangerai, tout à côté, tes mots les plus fous. Tu ne dois pas être si loin, j'ai dû rater quelque chose, ma vue est trop mauvaise. Crie après moi ! Écris pour moi ! Tu ne vois pas à quel point je m'exclame et m'interroge ? Dois-je tout suspendre ? Et laisser la Providence faire tout à notre place ? Peut-être ne me vois-tu pas. Peut-être que m’effleurer t'a été inconfortable. C'est vrai que je ne répondais pas à tes critères. Je ne les connais pas tous, sans doute en as-tu en pagaille, mais la vérité est si crue que, c'est ainsi, tu m'as repoussé en m'ignorant. Mais ce n'est pas tout à fait juste. Car moi aussi, tout ce temps, je t'ai ignorée. J'ai attendu jusqu'à aujourd'hui pour t'écrire enfin, chère inconnue, et je suis plein de désirs de te connaître dans le fonds, un peu moins dans la forme même si je prédis beaucoup de la rondeur de tes mots s'ils pouvaient se passer de ces calculs algorithmiques pour enfin me trouver dans le jardin dont je m'occupe avec une obsession routinière et où se trouve la véritable clé de mon cœur.

Nous n'aurons pas l'éternité pour qu'enfin nos plumes s'expriment. Le temps presse. Viens vite ! Combien de lettres avons-nous manqué de nous écrire ? Combien de projets vont tomber à l'eau avant que nous décidions que, enfin, après tout, nous écrire soit le seul travail qui ait la moindre valeur ? Mais tu te caches, tu n'es pas sûre. Alors me voilà ! Regarde comme je m'époumone en vain ! Il est tard, je ne dors pas, je compulse maladivement ma souffrance stérile parce que je crois en toi. C'est vrai, je ne te connais pas... Aide-moi ! Sors du fin fond de ta forêt d'amis innombrables et consacre-moi une cure ! Car il ne manque que toi. J'ergote, je me noie. Viens me trouver, consacre-moi un chapitre qui n'engage à rien, que nous fassions tous les deux le chemin qui mène à laisser s'épanouir ce supplément d'âme que la modernité veut nous confisquer. Ensuite nous jouerons. Sur les mots bien sûr, mais pas uniquement. Tu ne me trouves pas d'humeur très drôle ? C'est parce que je ne le suis pas. J'attends ton homélie, croquons le corps de la langue française et vivons notre premier véritable amour épistolaire ! Impossible de savoir, chère inconnue, si le message vient vraiment à toi sans ta répartie fantasque... Écris-moi !

Et puis, sois volubile, lâche-toi, montre-moi autre chose que de la compassion, deviens le fleuve où baigne le style de mes phrases ! Cela prendra du temps, quelques digressions, mais tu en sauras plus que personne en me lisant et je veux en savoir sur toi plus que les autres qui de toute façon, sans trace, ne gardent pas mémoire des méandres de ton esprit qui, torturé, a pleuré en silence un joli mois de mai. Tu ne l'as pas dit, tu as préféré être cruelle. Et j'ai préféré être cynique. On dirait que tout est foutu mais c'est un leurre, ne te laisse pas prendre dans la toile des remords, rebondis dessus ! Après tout ce n'était qu'une étape. Sois ma Simone, je serai ton Jean-Paul. Et ensemble nous ferons un livre de nos confessions, le fruit de notre libido épistolaire, lequel sera peut-être sans visage, lequel sera peut-être sans corps, mais lequel deviendra notre plus profonde preuve d'affection. Platonique ? Hé ! Nous pourrions commencer par là.

Chère inconnue,

Tu n'es jusqu'ici qu'un coup de cœur, un coup de poisse, un moment de déséquilibre suave et véhicule de promesses sucrées. Tu n'as pas osé me répondre, tout engoncée que tu es dans l'attente de mon lâcher-prise, et j'ai continué à ourdir la plus mièvre des romances. Que fais-tu le soir, seule dans le noir ? Tu compiles les réussites des autres en un tas difforme d'espoirs déçus ? Viens, écris-moi, fais fleurir mon émoi ! Que faire de mieux que de te parler à l'impératif ? Je te cherche, tu m'échappes et je préférerais ne pas avoir à te commander une œuvre. C'est pourtant là le début de toute l'affaire. Au pire, j'écrirai un livre tout seul, plein de fiel et de reproches au ciel. La folie me guette, mon esprit, tout de verre, est prêt à éclater en mille querelles contre la dureté de ce réel et j'appose, sans trop de tact, mes lubies éternelles. J'éveille parfois l'intérêt d'un passant, on me lit rapidement avant de migrer vers des conversations à mi-temps. Je n'ai pas l'intention de te maudire, c'est simplement le signe de notre époque, pressée, sans patience – et moi-même je perds la mienne -, une irrésolution à prendre le temps. Alors je tente de me modérer, avec un succès relatif, suspendant mon jugement sur toi pour ne pas le rendre méchant.

Combien de heurts avant le bonheur ? Regarde comme je deviens commun, à utiliser des mots qu'on sait depuis toujours disposés à l'accolade, remplissant de mes souhaits ta répartie absente. Arrête d'hésiter ! Écris-moi ! Quitte à être violente, ce sera toujours un moment de partage. Crois-tu que je t'aurai écrit un livre avant d'avoir à clamer ton épitaphe ? Notre littérature est déjà prête à mourir sans trouver de fin. La fin ce sera la nôtre, tout sera laissé en plan, inachevé. Et c'est ce que nous voulons, non ? Lorsque le fantasme de tes mots aura disparu, il y aura d'autres mots, des mots de chagrin, le chagrin de n'avoir pas mis un dénouement à tout ça. Je me laisse dériver, j'attends de tes nouvelles. Parle-moi ! Suis-je dur ? Je suis transi et je parle tout seul, dis-moi que tu existes, que je n'ai pas replongé dans une autre bouffée délirante, que mes raisons, à défaut d'être raisonnables, sont légitimes. Parle-moi du passé, parle-moi du futur, écrivons un second livre, écrivons une saga, partons dans les profondeurs du Nord et soyons les complices d'un forfait social : le déversement à notre seul usage des scories de nos vies et de la joie qu'on retire à les relativiser.

Il n'y aura de dommages collatéraux que ceux que ma méprise créera, dans une fulgurance, lorsque je te raconterai ma vie et que tu me dévoileras la tienne. Ici se tiendra notre petite Laponie, nous y serons seuls, tous les mots seront permis bien que je choisirai les miens avec soin. Sois conquérante, harcèle-moi de ton être en-deçà, libère ton potentiel et révèle le mien. Si c'est les étoiles qui t'appellent montons dans notre vaisseau de papier, rejouons de la Terre à la Lune et embarquons notre poésie pour principal bagage. Déshabille ton âme, emmène-moi dans ses coins troubles, accepte mon intrusion et je te comblerai de mes échecs pour que tu les caresses avec la bienveillance qui sied aux gens de bien. Car je n'ai pas de doute là-dessus : tu es quelqu'un de bien. Rien ne peut m'écarter de l'idée que tu œuvreras pour notre postérité, nous préparant à dévoiler au monde que notre idylle est la seule qui vaille le coup. Parce que nous sommes un peu fous, libres de nous éloigner du centre, riches de notre désuétude et affamés de cet anachronisme. Mais j'extrapole, je t'idéalise, je me fais un modèle parfait de qui tu es. Dis-moi qui tu es !

Tu me fais languir. Sors de l'eau, chère inconnue ! Hante mes rêves ! Donne-moi du sel pour supporter l'hiver ! Nous ne chercherons pas la complétude, nous nous aimerons comme deux individus, indivis, différents mais se retrouvant dans nos textes. Nous découvrirons une autre terra incognita, celle de notre disharmonie festive. Car je ne veux pas que tu t'empêches d'être selon ton caractère, simplement que tu partages avec moi un concert improvisé, que notre prose tourne au bœuf et qu'elle dure. Oui, qu'elle soit dure ! Tranchante. Stimulante. Surréaliste. Irréaliste. Fais-moi tourner la tête ! Conjugue la vie, conjure ma vie ! Un continent nous attend sur lequel personne n'a jamais posé le pied. Nous irons l'arpenter pour exhauster des saveurs inédites qu'on ne découvre qu'en naviguant dans d'autres galaxies. Au mitan de toutes ces belles promesses nous nous trouverons chacun des griefs et nous saurons alors que le voyage ne sera pas que simple sérénité mais également combat et défi à la face des dieux, s'ils existent. J'entends une petite musique, elle m'entraîne vers toi, je m'autorise à la suivre dans ce marécage de pensées noires pour trouver ta piste. Parce que c'est toi qui chantes dessus.

Chère inconnue,

J'ai traversé le temps, comme ça, en dilettante, et j'attends toujours des nouvelles de toi. Lâche un truc, dis quelque chose, expose-toi ! Tu te caches ? Tu as peur de mon impudeur ? C'est pourtant d'ici, sur Facebook, que tu jailliras le plus promptement. Quelle misère, quelle catastrophe que voilà : nous sommes faits pour nous entendre. En tout cas nous en trouverons les moyens. Rien n'est perdu, l'horloge tourne mais la Parousie n'est pas encore là pour nous acculer à des places trop serrées pour celles et ceux qui ont encore quelques penchants pour l'obscurité. Et bien que je me confesse devant un auditoire (modéré), je suis plein de secrets que je ne veux faire advenir qu'à tes propres lumières. Mords là-dedans, montre-moi que tu as du chien ! Tu te demandes peut-être : à quel dessein ? Tout cela n'est-il pas malsain ? Quel tas d'ivraie pour un seul bon grain !

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